Pourquoi enseigner la polysémie verbale en classe de langues? Réponses à cette question grâce aux résultats d’une étude sur corpus et d’un test expérimental.

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25 septembre 2018

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Lucia Gomez, « Pourquoi enseigner la polysémie verbale en classe de langues? Réponses à cette question grâce aux résultats d’une étude sur corpus et d’un test expérimental. », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.sj79e3


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Il est bien connu que les éléments lexicaux sont très souvent polysémiques. La polysémie peut être globalement décrite comme l'association de deux ou plusieurs sens associés à une seule forme linguistique (Taylor 2003: 122). En linguistique cognitive, les différentes significations d'un lexème ne sont pas considérées comme une liste de sens indépendants les uns des autres, mais plutôt comme des éléments faisant partie d’un réseau connecté (Lakoff 1987, Langacker 1987, Taylor 2003, entre autres). Par exemple, le verbe voir signifie ‘percevoir avec les yeux’, mais également ‘comprendre’. Ces significations sont liées en raison de la correspondance conceptuelle entre ‘vision’ et ‘cognition’. C’est pour cela qu’il est possible de prononcer des phrases telles que ‘je vois ce que vous voulez dire’, en français, ou ‘I see what you mean’, en anglais, pour exprimer la compréhension d’une idée. Quedar (rester, devenir, avoir rendez-vous, garder, etc.) est un verbe très fréquent en espagnol, ce qui peut expliquer son extraordinaire polysémie. Il a été souvent étudié comme un verbe de changement, et sa signification a été décrite en termes de conditions nécessaires et suffisantes selon le type de changement qu’il représente dans le monde réel (changement durable, progressif, etc.). Cependant, Bybee et Eddington (2006) ou Wilson (2014) ont montré que la catégorisation et l'utilisation de quedar ne reposait pas sur des conditions nécessaires et suffisantes ni sur les caractéristiques réelles de l'événement dans le monde réel. Le choix du locuteur est en effet largement conventionnel et dépend surtout de l'expérience linguistique accumulée. En ce qui concerne l’acquisition des verbes polysémiques en langue étrangère, on sait bien que les apprenants d’une langue seconde (L2) éprouvent une grande difficulté à acquérir les significations multiples des verbes simples, y compris des verbes très fréquents, et pour des apprenants ayant un niveau de langue élevé (Viberg 2002, Waara 2004, Lennon 1996, Csabi 2004, entre autres). Malgré cela, l'enseignement des significations polysémiques n'a pas reçu l'attention qu'il mérite. Comme l'a souligné Tyler et Evans (2004, 257), la signification des termes polysémiques sont en général présentés dans les manuels comme une liste non organisée de significations qui ont été accidentellement codées par la même forme phonologique. C’est le cas de ‘quedar’. En tenant compte de tout cela, et en considérant que l'enseignement du lexique dans une L2 doit s’appuyer, non seulement sur les connaissances linguistiques dont nous disposons, mais également sur la manière dont les éléments lexicaux sont réellement acquis par les apprenants, l’objectif principal de cette communication est d'analyser comment le réseau sémantique d'un verbe polysémique peut être décrit, acquis (L1 / L2) et enseigné.En ce qui concerne la description, nous nous appuyons sur un travail préalable sur cette question [citation à préciser /auteur(e) du abstract]. Nous assumons que les différents sens du verbe ‘quedar’ partagent un schéma conceptuel commun que l’on peut résumer comme «une situation durable résultant d'une interaction de dynamique de forces (Talmy, 2000) qui menace l’équilibre d’un état antérieur». Par exemple, une expression telle que ‘quedan dos galletas’ (il reste deux gâteaux) présente l’état résultant d’une dynamique de forces qui n’est pas précisée (quelqu’un a pu manger les gâteaux, un plateau est tombé, etc.) par rapport à un premier état qui n’est pas désigné non plus (il pouvait y avoir plus de deux gâteaux, par exemple). Afin d’analyser comment le réseau sémantique de ‘quedar’ est utilisé en L1 (enfants/adultes) et L2 (adultes), et d’étudier par conséquent la représentation mentale du réseau polysémique et les possibles processus d’acquisition de celui-ci, nous nous sommes appuyés sur deux types de données. Tout d’abord, nous avons utilisé un corpus de récits narratifs d’apprenants ignorant qu’ils étaient testés sur ce verbe. Ensuite, des données ont été récoltées grâce à une expérience d’élicitation des énonces spontanés sur les verbes quedar/rester. En ce qui concerne les récits narratifs, nous avons analysé les narrations effectuées en réponse à un stimulus visuel, une histoire en vignettes racontant le weekend haut en émotions d’une jeune fille. Nous avons testé deux groupes de participants, tous adultes et étudiants universitaires : 15 espagnols s’exprimant en L1 et 17 français s’exprimant en L1 puis en espagnol L2 (niveaux B1 et B2). Nous avons par conséquent obtenu trois types de récit (espagnol L1, espagnol L2 et français L1). Concernant l’expérience d’élicitation, 160 sujets différents ont participé à l'étude. Une partie des participants a été invité à écrire trois phrases avec le verbe quedar (31 sujets hispanophones ont participé en espagnol L1 et 49 sujets francophones en espagnol L2). Les participants francophones ont ensuite traduit les phrases en français. Il s’agit d’étudiants en deuxième année de Licence en Langues Étrangères Appliquées. Ils avaient un niveau hétérogène en espagnol, que leurs enseignants estimaient entre A2 et B2. Une autre partie des participants francophones (43 participants) a rédigé trois phrases avec le verbe rester, et ils les ont ensuite traduites en espagnol. Il a été précisé aux participants qu'ils devaient rédiger spontanément les 3 premières phrases auxquelles ils pensaient. Par ailleurs, 37 enfants de langue maternelle espagnole ont réalisé ce test, qui a été adapté à leur âge (en expliquant la méthodologie grâce à des exemples liés à d’autres verbes). Les résultats de ces expériences ont montré que les deux dispositifs de recueil de données amenaient à des résultats tout à fait concordants. Concernant l'acquisition du verbe polysémique en L2, l’analyse des données montre que la représentation du réseau polysémique de quedar est très ancré dans leur L1, et que concrètement, il reproduit la représentation du réseau polysémique du verbe rester. Sur le plan quantitatif, cela se manifeste en termes de fréquence ‘brute’ (utilisation moindre de rester L1 et quedar L2 par rapport à quedar L1), et ‘relative’ (les apprenants utilisaient surtout les significations communes entre quedar et rester, et cela dans des proportions étonnamment similaires). D'un point de vue qualitatif, le transfert de la L1 à la L2 s’est manifesté dans les aspects syntaxiques et morphologiques, tels que la transposition erronée de la construction impersonnelle de rester pour le sens ‘existence’ de quedar, la présence/absence erronée de pronoms dans le sens de ‘rendez-vous’ et ‘localisation’, qui ont provoqué un changement de signification, ou encore l’importation de patrons sémantiques de la L1 vers la L2, et notamment dans la structure ‘quedar + complément d’état’. Ainsi, ‘quedarse sin trabajo’ a été traduit comme ‘rester sans travail’ (permanence) alors que la vraie signification en espagnol est ‘perdre son travail’ (changement d’état). En ce qui concerne les productions des enfants, elles semblent montrer des critères d’utilisation qui sont (logiquement) très différents de ceux des apprenants adultes d’espagnol (L2). Les enfants semblent avoir utilisé le verbe quedar pour des significations très conventionnelles (comme par exemple pour convenir d’un rendez-vous). Par ailleurs, étant donné la complexité syntaxique et conceptuel du verbe, les enfants semblent l’utiliser uniquement pour des sens qui présentent une haute rentabilité pragmatique face à des options linguistiques plus simples, comme par exemple dans le sens ‘localisation’. Ainsi, des expressions comme ‘me quedo en casa’ (je reste chez moi) peuvent servir pour donner une excuse ou refuser une invitation, par exemple, alors que l’usage d’une option plus simple comme ‘estar en casa’ (être à la maison) ne le permet pas. Cette valeur pragmatique ‘ajoutée’ est beaucoup moins prononcée dans d’autres sens de ‘quedar’, comme par exemple ‘quedarse cansado’ (être fatigué à la suite d’un événement) face à une option plus simple comme ‘estar cansado’ (être fatigué). Des considérations didactiques tenant compte de ces conclusions seront également présentées lors du colloque.

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