2024
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https://hdl.handle.net/20.500.13089/11w6g
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https://doi.org/10.4000/11w6g
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Carolina Spovieri, « La vie des Gommes : pour une approche biographique des pneus de Carol Rama », Les Cahiers de l'École du Louvre
Les événements biographiques semblent souvent motiver les œuvres de Carol Rama (1918-2015). Les bandes en caoutchouc utilisées pour la série des Gommes (1970) sont par exemple présentées comme les chambres à air d’anciens pneus de bicyclette, provenant de l’usine paternelle. Si ces bandes en caoutchouc ont pu susciter un certain intérêt, c’était généralement pour les étudier du point de vue de la vie passée de Rama, en les ramenant à la tragédie familiale du suicide de son père. Mais en dépassant une telle approche biographique, quittant alors la vie de l’artiste pour suivre la trajectoire historique des bandes en caoutchouc (usage et fonction ordinaires du pneu, emploi comme matériau artistique), il devient possible de soulever de nouvelles hypothèses pour lire l’œuvre autrement. D’abord, si l’origine marchande de l’objet nous ouvre à son caractère périssable, l’état usé du pneu nous renseigne aussi sur le choix de l’artiste à l’intégrer dans son œuvre, elle qui aime « les choses qui font vécu » (Vergine, 1985). En l’arrachant à son statut de marchandise inutilisable, le geste créatif confère au déchet une sorte de nouvelle mémoire, comme une seconde vie qui le rendrait du même coup autonome. De même, le processus de vieillissement du pneu, mis au premier plan dans la série, pourrait ironiquement pointer la courte vie des objets de la société bourgeoise dont Rama était issue, et simultanément indiquer l’obsolescence du support lui-même car l’objet remplace la peinture. De plus, les Gommes sauraient contenir « la crise du tableau comme institution normale à la peinture de notre passé » (Sanguineti, 1994). Prendre au sérieux les facteurs multiples qui contribuent à tracer la vie de ces bandes en caoutchouc permettrait de réfléchir aux dimensions interprétatives de l’art à partir de la biographie des matériaux et non seulement de celle de l’artiste.