2024
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/1762-6110
Ce document est lié à :
https://hdl.handle.net/20.500.13089/12b0l
Ce document est lié à :
https://doi.org/10.4000/12b0l
info:eu-repo/semantics/openAccess , https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
Sandra Chapelle, « Revisiter les violences passées pour expliquer celles d’un conflit vécu : imaginaire médiéval, souvenirs des guerres révolutionnaires et impériales dans les écritures de soi des civils en 1870-1871 », Astérion
La défaite française de 1871 face à la Prusse et ses alliés est vécue et ressentie comme un profond traumatisme par les contemporains. Parmi eux, ceux qui s’identifient comme des témoins non-combattants prennent massivement la plume à partir de 1870. Ces civils (hommes et femmes) – appartenant majoritairement aux classes moyennes supérieures et à la bourgeoisie – couchent alors sur le papier les événements inédits auxquels ils assistent ; sous forme de journaux lorsqu’ils écrivent pour eux-mêmes, sous forme de lettres lorsqu’ils s’adressent à leurs proches et que leur écriture appelle une réponse. Tous habitent dans des territoires envahis ou occupés par les armées allemandes. D’autres font le choix d’écrire rétrospectivement, peu après le départ des troupes allemandes du territoire français ou même des décennies plus tard, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Cette centaine de textes écrits entre 1870 et 1914 témoigne à la fois de la multiplicité des sentiments des civils face à une situation qu’ils ne comprennent pas, et des mécanismes qu’ils mettent en place afin de donner un sens à la défaite. Le premier d’entre eux est le recours au passé. En 1870-1871, les non-combattants font massivement appel aux mémoires impériale et révolutionnaire, avant de mobiliser l’imaginaire médiéval qui renvoie à la période qu’ils considèrent comme la plus sombre de l’Histoire. Ces représentations, revisitées et réinvesties, attestent de leur désarroi face à un présent qui n’est plus à la hauteur du passé glorieux de la France. La défaite entraîne l’effondrement du modèle de la nation victorieuse et fait naître un puissant sentiment d’infériorité. Ce dernier n’est dépassé qu’au prix de la construction d’une image très négative des Allemands (et tout particulièrement des Prussiens) ; une image qui devient un des fondements de la nouvelle identité nationale française qui se reconstruit en miroir inversé du nouvel Empire allemand à partir de 1871 (voir F. Roth, La guerre de 1870, Paris, Fayard, 1990, p. 607-638).