2008
Ce document est lié à :
https://hdl.handle.net/20.500.13089/2bc5
Ce document est lié à :
https://doi.org/10.4000/books.editionsehess
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/altIdentifier/isbn/978-2-7132-3113-1
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/altIdentifier/isbn/978-2-7132-2153-8
info:eu-repo/semantics/openAccess , https://www.openedition.org/12554
Anne-Christine Taylor, « Corps, sexe et parenté. Une perspective amazonienne », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales
La description des rapports entre les sexes dans les groupes amazoniens de culture jivaro offre des traits apparemment contradictoires. D’un côté, les hommes exercent sur les femmes, leurs trajectoires sociales et spatiales ainsi que leur vie relationnelle, un contrôle sans commune mesure avec celui que les femmes peuvent exercer sur les hommes. D’un autre côté, les fondements de cette asymétrie sont difficiles à cerner, tant sur le plan sociologique que sur le plan des représentations : les Indiens eux-mêmes (des deux sexes) perçoivent les relations entre hommes et femmes comme symétriques et complémentaires, et ils n’avancent aucune justification idéologique (par exemple, sur la nature d’une corporéité ou d’une subjectivité propre aux femmes) pour le caractère objectivement inégalitaire des relations entre sexes. Ces caractéristiques se retrouvent dans l’ethnographie de nombreuses autres sociétés des basses terres d’Amérique du Sud. Elles ont pu mener les spécialistes de cette région à s’enfermer dans un débat stérile sur la juste qualification des rapports de genre en Amazonie, les uns y voyant une franche subordination des femmes aux hommes, les autres arguant pour une définition en termes d’égalitarisme, et accusant les premiers de ne pas prendre en compte le sens que les Indiens eux-mêmes attachent à leurs comportements. Pour échapper à cette querelle sans solution, quelques ethnologues ont cherché à comprendre comment et pourquoi les Indiens pouvaient, sans avoir le sentiment de vivre une contradiction, juger que les femmes devaient être soumises à un contrôle masculin tout en les tenant pour équivalentes aux hommes. Une manière de rendre cohérents ces faits est de supposer que les rapports de sexe sont subordonnés à d’autres types de rapports plus englobants et plus lourds d’enjeux sur le plan des ontologies locales. Cette hypothèse a été proposée notamment par Philippe Descola et Eduardo Viveiros de Castro, le premier montrant comment l’opposition hommes/femmes est souvent subsumée en Amazonie dans l’opposition consanguinité/affinité, le second développant l’idée que ce contraste-là est l’une des actualisations possibles d’une opposition plus fondamentale, celle entre humains et non-humains, beaucoup plus importante dans l’économie du monde amazonien que celle entre genres. La présente contribution s’inscrit dans le sillage de ces apports. Elle veut corroborer leurs intuitions tout en approfondissant l’étude de leurs implications. L’auteur cherchera ainsi à montrer que la manière dont se met en place dans les ontologies amazoniennes la position de sujet/ « personne corporée », assortie à une conceptualisation de la société ou de la collectivité en termes d’espèce (living kind), rend très problématique le recours à la notion même de « genre ». En effet, la différence des sexes y est tantôt annulée au profit d’un postulat d’identité (sameness) entre hommes et femmes dans le cadre d’une opposition hiérarchiquement supérieure entre espèces différentes, tantôt, au contraire, exacerbée et tirée vers un pôle antagonique dès lors qu’elle est assimilée à, ou fusionne avec, cette dernière opposition. Cette oscillation contextuelle entre un pôle où hommes et femmes (définis tels par leur corps) se perçoivent comme congénères (plutôt que différents), et un autre pôle où ils se voient les uns les autres comme membres de deux espèces distinctes liées par une relation « proie/prédateur » (plutôt que congénères) expliquerait les « inconsistances » relevées par l’ethnographie dans la caractérisation des rapports entre les sexes dans cette partie du monde.