2017
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https://hdl.handle.net/20.500.13089/f0k8
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https://doi.org/10.4000/cve.3149
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Béatrice Laurent, « Monster or Missing Link? The Mermaid and the Victorian Imagination », Cahiers victoriens et édouardiens
Au cours des premières décennies du dix-neuvième siècle, tandis que l’hypothèse évolutionniste gagnait du terrain et que les paléontologues démontraient que des espèces avaient existé et s’étaient éteintes, nombre de scientifiques furent conduits à penser que les animaux fantastiques peuplant les mythologies classiques n’étaient peut-être pas des fantaisies d’esprits particulièrement imaginatifs, mais des espèces disparues. Dans ce contexte, les sirènes, qui faisaient partie de l’imaginaire collectif depuis l’Antiquité, en vinrent à être perçues comme des créatures hybrides, que l’on soupçonnait même d’être le chaînon manquant entre les formes de vie aquatique et terrestre. En tant qu’espèce, la sirène ne semblait pas totalement éteinte: on rapportait en avoir vu au large des côtes écossaises en 1809 et 1812, et lorsque la sirène des Fiji fut exposée à Londres en 1822, elle déclencha un débat zoologique. Certains scientifiques comme Everard Home soupçonnaient un canular; d’autres, parmi lesquels le Dr Rees Price, étaient convaincus que la sirène était une espèce animale qu’il convenait de rajouter dans la grande table des taxonomies à l’emplacement que Linné avait laissé vacant parce qu’il pensait que les sirènes pouvaient exister; d’autres encore étaient persuadés d’avoir trouvé en elle un chaînon manquant. Au dix-neuvième siècle, le public était habitué aux bizarreries de la nature. L’ornithorynque nouvellement découvert était une créature plus déconcertante que la sirène après tout, mais c’était clairement un animal. Des « monstres » humains tels que les siamois ou John Merrick, l’homme éléphant, étaient exhibés dans les foires, mais nul ne mettait en doute leur appartenance à l’espèce humaine. La sirène, en revanche, se présentait comme un hybride de l’humain et de l’animal, ce qui soulevait des questions sur la définition ontologique de la nature humaine. ‘La question de la sirène’ qui n’était au départ qu’un sujet de débat zoologique devint prétexte à une véritable guerre intellectuelle dans laquelle s’affrontèrent les partisans du créationnisme et ceux de l’évolutionnisme, avec un acharnement d’autant plus féroce qu’elle touchait directement aux grandes questions liées à l’hybridation. Cet article propose d’explorer ces questions et d’en suivre le développement au cours de la période victorienne.