16 septembre 2021
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Fonds ANR EnsArchi : entretiens enregistrés auprès d'enseignant·e·s et d'étudiant·e·s en école d'architecture [Fonds ou collection]
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Audrey Jeanroy et al., « Philippe Boudon, enseignant-chercheur en architecture, s'exprime sur son engagement dans la recherche dans les années 1968 à 1990 et sur l'architecturologie », Archives de la recherche & Phonothèque MMSH dans Calames
L’entretien conduit par l'historienne de l’architecture Audrey Jeanroy et par l'enseignante chercheuse Ana Bela de Araujo se déroule au domicile de Philippe Boudon, enseignant-chercheur en architecture et urbanisme, aujourd'hui retraité. Celui-ci est tout d'abord invité à s’exprimer sur les aspects biographiques de son parcours ainsi que sur les raisons qui l'ont amené à faire des études d'architecture. Alors qu’il était scolarisé au lycée Carnot à Paris, un ami lui fait connaître la revue L’œil, lui faisant découvrir l'existence de la discipline architecturale. Il évoque à cette époque un contexte familial difficile suite au décès de son père. Il entre à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1958. Il résume son intérêt pour l’architecture avec une citation d’Antoine Grumbach qui disait qu'il était architecte avant d’être enseignant, tandis que Philippe Boudon, en contrepoint, se dit enseignant avant d’être architecte. Il explique qu'en mai 1968, le monde de l’architecture était en ébullition, avec une réflexion intense et toutes sortes de questionnements quant à l'enseignement de l'architecture. Il dit que « la recherche était dans l’air ». Ayant passé son diplôme d'architecte en 1968, il déclare avoir ainsi effectué sa scolarité dans l’ancien système où tout était fondé sur l’atelier de projet, mais où déjà des étudiants se tournaient vers d’autres disciplines. Le besoin d’ouverture s’est concrétisé pour lui par le suivi des cours du Séminaire Tony Garnier et de ceux de l’Institut d’urbanisme. Il décrit les rencontres qu’il fait dans ces deux institutions ainsi qu’au sein d'une autre institution nommée Omnium technique d’urbanisme (OTU), qui le conduisent à faire une publication dans la collection Aspect d’urbanisme chez l’éditeur Dunod. Philippe Boudon relate l’ambiance de cette époque ainsi que les engagements et les positions idéologiques et politiques des étudiants. L'enquêtrice l’interroge sur son mémoire intitulé Pessac de Le Corbusier. Philippe Boudon raconte les circonstances de cette étude socio-architecturale (à l'époque, son frère Raymond Boudon était sociologue à Bordeaux.). Puis il explique les raisons pour lesquelles il ne s'est pas tourné vers l’université, qui lui semblait davantage orientée vers l’histoire de l’architecture. Pour lui, le démarrage de la recherche s’est fait au décours d’un appel d’offres du ministère de l’équipement, par l'intermédiaire de l'architecte Michel Conan, appel d’offres concernant l’habitat, les transports et l’architecture. Interrogé sur les chercheurs en architecture à cette époque, il cite l’équipe d'Antoine Haumont qui travaillait sur le logement, celle de Bernard Lassus sur le paysage et lui-même avec son étude à Pessac. Pour lui, la recherche a donc débuté à la Direction générale de la recherche scientifique et technique (DGRST) avec l’appel d’offres de Michel Conan puis avec la création du Comité de la recherche et du développement en architecture (CORDA). Il fait un aparté sur l’antériorité de l'Atelier de recherche et d’études d’aménagement (AREA) sur le Centre d’études méthodologiques pour l’aménagement (CEMPA). Puis il indique sa contribution à la mutation du bulletin de la Société des architectes diplômés par le gouvernement vers la revue AMC-Architecture mouvement continuité, en collaboration avec Alain Sarfati, alors qu’ils étaient étudiants aux Beaux-Arts dans l’atelier de l'architecte Otello Zavaroni, revue dont il a été rédacteur en chef. Il a écrit notamment sur l'architecte Christopher Alexander, dont il avait eu connaissance grâce au séminaire Tony Garnier. Il dit que le mot-clé de cette époque était « ouverture ». Il découvre l'Italie à l'occasion d'un voyage où il accompagne son épouse Françoise Boudon, (ndlr : historienne de l’art et spécialiste d’architecture moderne) et rencontre Saverio Muratori. Il se souvient également d’André Chastel. La conversation revient sur les débuts du groupe de recherche AREA, en collaboration avec Alain Sarfati, Bernard Hamburger et Gérard Bauer, création qui avait été précédée, vers 1969, par un groupe nommé A4, composé de Jacques Sinizergues et des personnes citées précédemment. Puis, sollicité sur ses motivations à faire de la recherche, Philippe Boudon s’exprime en détail sur l’influence de son frère sociologue, son aîné de sept ans. Il souligne l'importance de savoir ce qu’il faut chercher, l’influence de la linguistique et expose la naissance de ses réflexions sur ce qu’il nomme l'architecturologie. La conversation s'attarde sur les influences individuelles au sein de l’équipe de l’AREA : Philippe Boudon est davantage tourné vers la recherche fondamentale, les architectes Jean-Michel Roux et Gérard Bauer sur les études urbaines, Alain Sarfati et Bernard Hamburger vers la création de bâtiments, ce dernier s'étant finalement tourné vers la recherche suite à une maladie invalidante. Leur conviction sur l'importance de la recherche et leur intérêt pour elle était ce qui reliait tous les membres de l'AREA. L’ouverture vers la recherche, l’ouverture aux autres, l’ouverture à d'autres disciplines et à la connaissance ont guidé Philippe Boudon. Celui-ci s'exprime alors sur ce qu’il nomme d’une part « apprentissage » à l’école des Beaux-Arts et d’autre part « enseignement », délivré ensuite dans les écoles d'architecture, où l'on y enseigne des connaissances. Il ajoute que la production de ces connaissances trouvait totalement sa place au sein de l’AREA. Il donne en exemple un travail en collaboration avec les architectes Philippe Deshayes et Françoise Schatz qui s'est déroulé sur quatre années, aboutissant à la publication de Vers une didactique de l’architecture (ndlr : pas de références identifiées). Il fait la différence entre d’un côté, l’architecturologie, et d’un autre côté, la recherche qui permet une production de connaissances. Pour Philippe Boudon, la recherche peut se dérouler en dehors de l’université. Puis il explique sa vision sur la recherche en architecture au sein de l'université ou au sein d’une école d’architecture, faisant une distinction entre recherche « internaliste » et recherche « externaliste » et dit avoir rappelé de nombreuses fois qu'il ne faut pas confondre l’objet scientifique et le terrain. Il cite l’exemple du sociologue perdant le social pour objet et celui du sociologue qui produit une connaissance sociologique de l’architecture. L’échange se poursuit autour du positionnement de l’architecte chercheur. Quant à sa réflexion sur l’architecture, il donne l’exemple de la linguistique et du langage et rappelle l’importance de la question de l’objet de la recherche. Il cite Georges Canguilhem et la cristallographie, faisant le parallèle avec l’architecture qui n’est pas l’objet de l’architecturologie, l'objet de l’architecturologie étant « l’espace de conception, du point de vue de la mesure ». Il distingue conception et création, et s’explique en décrivant ce qu’est la doctrine d’un architecte et ce qu'est une théorie en architecture. L’enquêtrice revient sur la période entre 1969 et 1971, entre son ouvrage Pessac de Le Corbusier et Sur l'espace architectural et questionne le témoin sur la vision qu’il a de ses choix professionnels à ce moment-là. Philippe Boudon raconte tout d’abord les premiers cours qu’il a donné à l'école d'architecture de Nancy, et comment il a construit son cours autour des huit dimensions de l’espace graphique de Jacques Bertin, autour de la géométrie constructive - matière qu’il avait eu l’occasion d’explorer à travers une demande de relecture de David Georges Emmerich - et autour de la question de l’échelle, sujet qu’il avait déjà travaillé personnellement. C’est donc dans cette période que se situent ses débuts dans la recherche en architecture, et notamment grâce à la demande de Michel Conan et Lucien Brams d'effectuer une recherche sur la ville de Richelieu. Ce type de commande de gré à gré a perduré au sein de l’AREA jusqu'à l’institutionnalisation de la recherche, inscrivant le groupe de recherche dans une production continue de rapports de recherche et lui apportant une reconnaissance de la part du ministère. L'AREA a ensuite pu bénéficier des plans ou des programmes de recherche quadriennaux. Puis le témoin retrace la création de divers groupes de recherche : les architectes Jean-Michel Roux et Gérard Bauer ont créé une entité qui s’intéressait aux études urbaines, Alain Sarfati et Bernard Hamburger créent l'agence d'architecture SAREA -Alain Sarfati Architectures, et Philippe Boudon a créé le Laboratoire d'architecturologie et de recherche épistémologique sur l’architecture (LAREA) (ndlr : en 1975), entité rattachée plus tard à l’école de Nancy, au moment de l’institutionnalisation de la recherche dans les écoles. L’une des enquêtrices confirme qu'au vu de l’étude des différents rapports de recherche des groupes qui ont répondu au CORDA et au Plan construction, il est certain que c’est bien l’AREA qui est la première structure professionnelle de recherche, et que la recherche a été initiée également au niveau de la profession et pas seulement au niveau du ministère. Philippe Boudon déclare que l'Atelier d'Urbanisme et d'Architecture (ndlr : fondé par Jacques Allegret en 1960) a pu être un modèle quant à la pluridisciplinarité d’une équipe, et que les financements quadriennaux ont permis de pérenniser les recherches. Il évoque ensuite que plus tard, avec Paul Quintrand, ils ont soutenu auprès de l’Académie d’architecture, l'idée de différencier recherche artistique et recherche scientifique. La conversation vient ensuite sur la connaissance que Philippe Boudon pouvait avoir dans la décennie 1970 des autres équipes de recherche. Il cite le Groupe d’étude pour l’application des méthodes scientifiques à l’architecture et l’urbanisme (GAMSAU) ainsi que des équipes à Nantes et Grenoble. Philippe Boudon confirme également que l’Institut de l’environnement, entre 1969 et 1971 a été favorable à ses recherches. Il se souvient également du Centre d’études de recherche architecturale (CERA) qui a fait suite à l’Institut de l’environnement. Mais il rappelle que pour lui, les recherches se sont succédées assez naturellement. Philippe Boudon émet quelques réticences à l’appellation « doctorat en architecture » et s’en explique. Il aurait préféré l’expression « doctorat en sciences de l’architecture ». Il illustre son propos en citant une phrase de Vitruve et précise que l’architecte est concerné par de nombreuses disciplines et que donc, l’unité scientifique qui peut concerner l’architecture est l’architecturologie. Motivé par André Chastel qui lui avait signifié qu’il n’était pas reconnu par ses pairs, Philippe Boudon soutient sa thèse de doctorat en 1987. À ce moment de l’entretien a lieu un cours échange à propos du ressenti de son frère sur les études de Philippe Boudon et sur son travail de doctorat, alors qu'il était l'un des premiers dans la discipline. Il donne sa perception sur l’accueil mitigé de l’architecturologie par les architectes et les universitaires. Il évoque un numéro de la revue Architecture et comportement dans lequel Michel Conan écrit un article en réponse à un texte de Philippe Boudon, celui-ci déclarant ne pas être d’accord avec cette réponse (ndlr : 1989). L’enquêtrice questionne le témoin sur les relations entre le CEMPA et Jean-Pierre Épron. Puis il détaille diverses thématiques abordées dans ses publications ainsi que le travail réalisé avec Jacques Guillerme et René Tabouret, à l’occasion d’un contrat de recherche intitulé Figuration graphique. Ses premiers travaux ont été publiés par l'éditeur Dunod, puis par L'harmattan, puis par les éditions de La Villette ; il en expose les raisons. Il explique comment il a rencontré Jean-Louis Le Moigne qui a traduit et fait connaître Herbert Simon et les notions de sciences de la vie, sciences humaines et sciences de l’artificiel. Philippe Boudon rappelle que Jean Louis Le Moigne fait une place à l’architecturologie en la qualifiant de science pionnière de la conception et que dans les pays anglo-saxons, il y a eu un fort intérêt pour le design. Il s’attarde à discourir sur la pensée de Jean-Louis Le Moigne et sur l’idée d'artificiel chez Herbert Simon et Edgar Morin. Il rappelle que l’essai de Christopher Alexander intitulé De la synthèse de la forme a été initiatique pour lui, tout en rappelant l'échec d'un concept de rationalisation du processus de conception. Il parle longuement de la pensée de Christopher. Alexander et des relations de celui-ci avec Herbert Simon. S’ensuit une conversation sur l’aspect doctrinal des architectes parlant d’architecture, attitude qu'il attribue au fait qu’ils doivent convaincre leurs clients. Il se souvient à cette occasion que Bruno Queysanne avait publié une revue intitulée Ah bon ! Puis, le témoin évoque une émission où Roland Castro était interviewé par Bernard Pivot, dans laquelle était mis en perspective le discours d’un architecte par rapport à celui d’un universitaire. Puis l’enquêtrice aborde le sujet de l’encadrement des thèses. Philippe Boudon confirme qu’il en a assez peu encadré, uniquement dans le cas où on lui en faisait la demande, car il souhaitait conserver un espace temporel de travail. Il participe à des jurys lorsqu’il est invité. Puis la conversation vient sur la titularisation. Philippe Boudon a été l’un des deux premiers professeurs titulaires en école d’architecture. Il a ainsi fait partie du premier jury de thèse. Il s’interroge par ailleurs sur l’appellation « enseignant chercheur ». Puis il se souvient de la construction des programmes en collaboration avec les étudiants en mai 1968. L’entretien se conclut sur des considérations sur la formation des enseignants, que Philippe Boudon a largement contribué à former. Au cours de l’entretien, le témoin livre moult détails sur les différents sujets abordés, ainsi que de plus longues réflexions sur ses recherches et cite de nombreuses personnes du monde de l'architecture.