2014
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Jean-victor Pradeau et al., « Les matières colorantes sur le site aurignacien de plein air de Régismont-le-Haut (Poilhes, Hérault) : acquisition, transformations et utilisations », Bulletin de la Société préhistorique française, ID : 10.3406/bspf.2014.14460
Régismont-le-Haut (Poilhes, Hérault, France) est une des rares stations de plein air du début du Paléolithique supérieur connues à ce jour dans le Sud de la France et présentant des conditions taphonomiques ayant permis la conservation d’aménagements et d’aires d’activité bien circonscrites. Ce campement aurignacien est implanté dans deux dépressions héritées de paléochenaux perpendiculaires asséchés et progressivement comblés par l’érosion d’une colline voisine, aujourd’hui arasée, selon une dynamique colluviale se mêlant à des apports éoliens. Cette configuration a conduit à une préservation exceptionnelle de l’installation humaine à l’intérieur de ces deux paléochenaux, laquelle consiste en une unique surface d’occupation très peu perturbée, formant deux principales aires bien dissociées dans l’espace. Une vingtaine de structures de combustion ont été mises au jour. Elles constituent autant de pôles d’activité, autour desquels le matériel archéologique se concentre en un semis plus ou moins diffus : silex et quartzite, macro-outillage en calcaire, charbons, os mal conservé, malacofaune et matières colorantes. Les matières colorantes se présentent sous des formes diverses : blocs de matière première bruts ou semi-transformés (majoritairement rouges, mais aussi jaunes et noirs), mottes friables résultant vraisemblablement d’une préparation (rouges), résidus de poudre rouge sur des éléments lithiques et en particulier des grattoirs en matières siliceuses, résidus de poudre rouge sur des pièces de parure en coquillage, imprégnations rouges dans les sédiments. Nous avons focalisé notre attention sur les blocs de matière première pour 1) caractériser les géomatières introduites sur le site et leurs propriétés (pouvoir colorant, dureté, etc.), 2) décrire les chaînes opératoires de préparation et de transformation de ces matériaux, 3) initier une réflexion sur les modalités d’utilisation et les fonctions dévolues aux matières colorantes à Régismont-le-Haut. L’ensemble du corpus a fait l’objet d’observations à l’oeil nu et sous loupe binoculaire et d’une classification par gamme pétrologique. Un échantillonnage des différentes classes a été caractérisé par observations à fort grossissement, analyses élémentaires (microscopie électronique à balayage avec analyse en énergie dispersive : MEB-EDS) et structurales (diffraction des rayons X : DRX). Ces résultats ont ensuite été interprétés au regard de la répartition spatiale des vestiges. Sept classes ont été mises en évidence, suivant plusieurs critères pétrographiques (texture du ciment, nature des inclusions, structure des minéraux). Certaines fonctionnent par paires et peuvent provenir d’un même faciès géologique. Le principal géomatériau introduit est hétérogène, majoritairement composé d’hématite, parfois de goethite, associées à du quartz, de la calcite et de la muscovite ; il peut présenter une dureté importante, qui implique de faire appel à des outils pour le transformer en poudre. La deuxième grande gamme de matière rouge est constituée de blocs tendres riches en hématite, kaolinite et calcite, avec de petits grains de muscovite. Beaucoup moins nombreux, la goethite, des composés plombifères (cérusite et galène) et de la kaolinite ou de la dolomite ont été identifiés dans les fragments jaunes. Les rares blocs noirs sont quant à eux composés d’oxydes de manganèse. Les caractéristiques pétrographiques, élémentaires et minéralogiques de l’assemblage de matières colorantes témoignent d’un approvisionnement à large spectre de matières premières qui reflètent les ressources minérales régionales, ainsi que l’ont montré nos premières prospections gîtologiques. Les transformations correspondent essentiellement à des opérations mécaniques requérant broyage-concassage tandis que les blocs tendres riches en hématite et kaolinite ont pu être traités par simple frottement sur support souple. La préparation de poudre par raclage ou abrasion n’est pas attestée en l’état actuel des connaissances. Les fonctions des matières colorantes et les modalités de leur utilisation, bien que difficiles à appréhender, semblent recouvrir des activités diversifiées, bien individualisées dans l’espace du site. En particulier, l’association entre des activités de travail des peaux et des matières à fort pouvoir colorant a pu être mise en évidence sur l’un des locus du site de Régismont-le-Haut (S56). La présence de matières colorantes est également attestée dans un autre locus (S72), vraisemblablement davantage lié au traitement primaire des carcasses. Dans les deux cas, les préhistoriques ont pu exploiter l’hématite pour son intense pouvoir colorant à des fins qu’il n’est pas possible de restituer précisément, compte tenu de la destruction complète des supports organiques qui s’offraient à d’éventuelles colorations intentionnelles (peau, vêtement, outils, etc.), mais l’exploitation du pouvoir siccatif (pour préserver les matières organiques et assainir les sols) et abrasif (pour le travail de l’os et des peaux, par exemple) de matières colorantes dans un but technique est très probable.