2013
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Michel Lauwers, « Réforme, romanisation, colonisation ? Les moines de Saint-Victor de Marseille en Sardaigne (seconde moitié XIe-première moitié XIIe siècle) », Cahiers de Fanjeaux (documents), ID : 10.3406/cafan.2013.2173
Le dossier relatif à la présence des moines de Saint-Victor de Marseille en Sardaigne offre l’opportunité d’appréhender dans toute leur complexité les dimensions « universaliste » et « locale » de la réforme entreprise par la papauté à partir de la seconde moitié du XIe siècle, ainsi que le rôle joué par certains représentants du monachisme provençal dans la mise en œuvre du programme réformateur. Dans les années 1060, soucieux d’affermir son autorité dans l’ensemble de l’Église d’Occident et notamment en Italie méridionale, le pape Alexandre II favorisa l’installation de moines latins dans une Sardaigne jusqu’alors marquée par des traditions de type byzantin. Ensuite, sous les pontificats de Grégoire VII et d’Urbain II, le contrôle de cette île par l’institution ecclésiale s’accrut, imposant à l’aristocratie sarde de nouveaux modèles de comportement (éloignés des «mauvaises coutumes » condamnées par Rome et ses légats) et fixant une nouvelle territorialité insulaire (organisée en judicats, archevêchés et évêchés). C’est dans ce contexte que s’inscrit l’installation tumultueuse des moines de Marseille sur l’île, en particulier dans la région de Cagliari, dans les années 1080. Les « Marseillais » y ont œuvré en agents de la papauté grégorienne. À bien des égards, la romanisation de la Sardaigne constitua une mise au pas, qui nécessita maintes négociations avec les autorités locales et s’apparenta parfois à une entreprise de colonisation. Les églises et les prieurés confiés aux moines de Saint-Victor étaient le plus souvent d’anciens lieux de culte, à forte valeur symbolique ou placés en des points stratégiques, qui furent alors transformés ou reconstruits, afin de les adapter aux exigences de la liturgie romaine et de la vie monastique : ces restructurations éclairent de manière inédite la question traditionnelle de l’« art de la réforme grégorienne » et, de manière plus générale, ce que l’on appellera le processus de monumentalisation qui caractérisa l’Église latine entre le Xe siècle et le XIIe siècle. L’aventure des « Marseillais » en Sardaigne doit enfin être envisagée comme un moment clé de la construction de l’Église monastique provençale.