La noblesse et le discours politique sous le règne de Pierre le Grand

Résumé En Fr

Marc Raeff, The nobility and the political discourse in the reign of Peter the Great. The debate over the question of whether the reign of Peter the Great was innovative, nay revolutionary, or a more or less organic outcome of an evolution started under his father or earlier, has been raging since the nineteenth century. Like all questions dealing with far- reaching historical events or developments, the one concerning Peter's reign cannot be answered in a simple either/or way. The article tries to re-examine the meaning and nature of the terminology concerning the nobility - i.e. the elite service class of the Muscovite/Russian state - as well as the transformation undergone by the concept of sovereign and government, between 1649 and 1725. The author made use of Lotman 's notion of "semiosphere". He was led to the hypothesis that Peter's reign produced a set of ambiguities as to the specific nature of basic political institutions and social relationships. These ambiguities had the important effect of a shift in the valences that basic values - social, intellectual, moral - obtained in shaping the lives and outlook of the Russian elites. In due course these ambiguities acquired a dynamic force that helped shape the parameters of subsequent Russian political thought, ethical values, and cultural orientations. The very fluidity and ambivalences that defined the public role and cultural life of the noble elite under Peter initiated new institutional, as well as existential forms and habits. These had to be consciously acquired and developed under the impact of new demands made by the sovereign; demands resulting from the state's systematically adopting the presuppositions, values, and goals of a foreign semiotic sphere - that of contemporary Western and Central Europe.

Marc Raeff, La noblesse et le discours politique sous le règne de Pierre le Grand. Depuis le début du XIXe siècle, on n'a cessé de débattre de cette question : le règne de Pierre le Grand a-t-il été novateur, voire révolutionnaire ou a-t-il été l'aboutissement plus ou moins organique d'une évolution amorcée du temps de son père ou antérieurement ? Comme toujours lorsqu'il s'agit d'événements historiques importants, ce problème ne peut être tranché de façon univoque. Le présent article réexamine la signification et la nature de la terminologie relative à la noblesse, c'est-à-dire la classe de service de l'État moscovite/russe, de même que les transformations subies par la notion de souverain et de gouvernement, entre 1649 et 1725. L'auteur a emprunté à Ju. Lotman la notion de « sémiosphère ». Il émet l'hypothèse selon laquelle le règne de Pierre a donné naissance à toute une série d'ambiguïtés quant à la nature spécifique des institutions politiques fondamentales et des relations sociales. Ces ambiguïtés ont provoqué un changement dans les systèmes de valeurs - sociales, intellectuelles, éthiques - qui réglaient la vie et les idées îles élites russes. Elles finirent par acquérir un dynamisme propre qui détermina la pensée politique russe, les valeurs éthiques et les orientations culturelles. La malléabilité et les ambivalences qui caractérisaient le rôle public et la vie culturelle de l'élite noble sous Pierre générèrent de nouvelles formes et de nouvelles habitudes tant dans les institutions que dans les modes de vie. La noblesse dut s'y conformer consciemment sous la pression des nouvelles exigences du souverain, exigences qui résultaient du fait que l'État adoptait systématiquement les présupposés, les valeurs et les objectifs d'une sphère sémiotique étrangère - celle de l'Europe occidentale et centrale de l'époque.