2002
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Pierre Laurence, « «Ils finiront par nous bouffer » : enquêtes contemporaines sur la mémoire du loup en Cévennes », Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, ID : 10.3406/mar.2002.1769
La mémoire orale du loup en Cévennes s'est transmise à partir de deux sortes de récits, relatant d'une part les agressions de loups sur des animaux domestiques et d'autre part les confrontations directes de l'homme et du loup. Dans le premier cas, il s'agit de narrations mettant en exergue l'audace, la soudaineté des attaques et la voracité des loups. Dans le second cas, on a affaire à des récits types bien identifiables, dans lesquels le loup menace l'homme, par exemple en le suivant, sans jamais l'agresser véritablement. La perception du loup y est différente, confinant au fantastique sans y entrer toutefois de façon explicite. Ces deux sortes de récits s'inscrivent l'un et l'autre de façon très précise dans le paysage. Alors que les agressions sur les troupeaux se déroulent en général près des maisons, le loup faisant une brève et violente intrusion dans l'espace le plus humanisé, les confrontations entre l'homme et le loup ont lieu dans des espaces marginaux. La mémoire du loup est ainsi porteuse d'une perception spécifique du paysage où s'opposent territoires humanisés et territoires (ou temps) voués au sauvage. Cette mémoire est également porteuse d'un légendaire des temps, associant le loup au sanglier, où chaque avancée de l'un ou l'autre de ces animaux marque un recul des hommes et des territoires humanisés. Enfin, face aux rumeurs persistantes de réintroduction du loup par le Parc national des Cévennes, cette mémoire investit également le présent. Les récits de tradition orale sont alors utilisés comme arguments contre une telle éventualité. Ils sont également significatif d'un rapport au sauvage très différent des conceptions naturalistes aujourd'hui dominantes.