2020
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Sergei Fediunin, « La « Russie civilisée » contre la « nation des esclaves » : mythologies élitistes et construction de frontières socialesmorales dans la Russie du début du XXIe siècle », La Revue russe, ID : 10.3406/russe.2020.2994
Cet article se focalise sur la reproduction, en Russie contemporaine, d’un discours opposant une minorité libérale, « civilisée » et proeuropéenne, au « peuple » jugé archaïque , incivil et hostile aux valeurs libérales. Sur fond d’une marginalisation extrême du libéralisme dans l’espace public russe depuis les années 2000, deux moments clés durant lesquels ce discours élitiste a atteint son apogée sont distingués : les manifestations d’opposition de l’hiver 20112012 et la révolution en Ukraine de 2014, suivie par l’annexion de la Crimée par la Russie et le déclenchement d’un conflit armé dans le Donbass. L’argument avancé est double : d’une part, la barbarisation symbolique des «masses populaires » relève des aspirations de l’intelligentsia pour affirmer son statut social, d’autre part elle est un moyen d’imputer l’échec de la « transition démocratique » postsoviétique et l’impopularité des idées libérales à la prétendue « mentalité archaïque » d’une grande majorité des Russes. Cette stratégie discursive s’avère donc contreproductive dans la mesure où elle contribue à renforcer l’image du libéralisme russe appuyée par le discours politique officiel, comme étant une idéologie «antipopulaire » ou « antinationale » et dont le corollaire n ’ est autre qu ’ une opinion libérale encline au pessimisme.