Lettre de Jean-Pierre Papon à Jean-François Séguier, 1775-12-4

Fiche du document

Date

4 décembre 1775

Discipline
Type de document
Langue
Identifiant
Licences

CC-BY-4.0 , Bibliothèque Carré d'Art, Nîmes




Citer ce document

Jean-Pierre Papon et al., « Lettre de Jean-Pierre Papon à Jean-François Séguier, 1775-12-4 », Archives savantes des Lumières. Correspondance, collections et papiers de travail d'un savant nîmois : Jean-François Séguier (1703-1784), ID : 10.34847/nkl.2f06t007


Métriques


Partage / Export

Résumé 0

[transcription] Marseille, le 4 décembre 1775. Monsieur, J’attendrai ma dissertation pour y répondre à votre pénultième lettre, mais je cède à l’envie de m’entretenir avec vous. Il vous semble, Monsieur, que le caractère du peuple, son imagination, vive et riche, ne suffisent pas pour donner à une langue ces beautés et cesagréments qui les rendent supérieurs aux autres, ou du moins vous ne pensez pas que ces talents naturels soient la source de la supériorité que certaines langues, telles que le grec et le latin, acquièrent sur d’autres et vous me citez en preuve de votre sentiment la langue des Saxons. Si c’est l’ancienne dont vous me parlez, et qu’elle ne subsiste plus, vous me permettrez d’en douter. Je ne crois pas que sur le témoignage des auteurs on puisse faire entrer une langue éteinte en comparaison avec deux autres qui par leur beauté ont triomphé de toutes les révolutions que l’Europe a éprouvées depuis plus de mille ans. Si vous parlez de celle qui est encore en usage en Saxe, j’aurai l'honneur de vous dire quene la connaissant pas je ne suis point en état d’en juger, mais vous me permettrez de vous demander pourquoi si elle approche tant de la perfection, elle a fait si peu de progrès dans les autres pays ? Est-ce parce qu’il y a peu de bons ouvrages capables [fol. 71 v] de la transmettre ? Mais vous savez comme moi que ce sont les écrivains et une longue suite d’écrivains qui forment la langue. S’ils sont médiocres, elle le sera aussi. Il peut y avoir des auteurs qui par leurs découvertes, par la force de leur génie, par la solidité du raisonnement, se font lire malgré la barbarie et la grossièreté du style, mais je regarde comme un paradoxe qu’un peuple qui a en effet du talent pour perfectionner sa langue n’ait pas produit d’assez grands écrivains pour la répandre. Je pourrai appuyer cette proposition de plusieurs exemples et prouver par l’histoire ancienne et moderne que les nations méridionales l’ont toujours emporté du côté de la langue sur les peuples du Nord. Pourquoi cela? Parce qu’ils ont plus d’imagination et de sensibilité et par conséquent plus de sensations, plus d’idées, plus d’images, en un mot plus de ce qui fait l’abondance et la richesse des langues, mais les bornes d’une lettre ne souffrent pas les discussions et à un homme comme vous il suffit d’un mot : intelligenti panca. Vous me demandez encore, Monsieur, si je suis bien sûr que la Celtique ait duré jusqu’au VIe siècle ? Je ne vois aucune raison du contraire. Rien ne dure plus que la langue maternelle. Elle a été l’interprète des besoins de notre enfance, le lien de la tendresse paternelle. Elle tient à nos usages, à nos mœurs et les Provençaux, qui parlaient latin, ne durent pas plus abandonner la celtique que les Bretons, les Gascons, les Languedociens et les Provençaux n’abandonnent leur idiome, quoiqu’ils parlent français. Je dis plus, sur cette matière, c’est le peuple qui donne le ton aux honnêtes gens au lieu d’apprendre leur langue. Il les oblige à parler comme lui. Or [fol. 72 v] comme c’est le peuple qui est le dépositaire de la langue nationale, comme il compose la classe la plus nombreuse des citoyens, il ne se dessaisit pas aisément de son idiome, parcequ’il sent rarement le besoin d’en parler autrement. Athénée appelle quelque part les Marseillais triglottes parce qu’ils parlent grec, latin et celtique. Il y avait pourtant huit cents ans que les Marseillais parlaient grec, et, malgré cela, ils n’avaient pas encore venu à bout de bannir le celtique de leur ville et de leur territoire. Il n’y a donc rien de plus opiniâtre, de plus difficile à détruire que le langage du peuple. Que devait-il en être dans l’intérieur des terres, dans les montagnes où les Romains n’avaient point de colonies et où ils ne faisaient point de commerce ? Cependant, c’était la plus grande partie de la Provence et je ne vois aucune […] qui ait pu y détruire le langage que le peuple parlait depuis […] que lepays était habité. C’est même beaucoup qu’au VIe siècle, il […] déjà oublié. On ne peut parler de ces choses que par analogie et sur des probabilités. Les preuves de fait nous manquent. Cependant, je profiterai de vos réflexions pour adoucir certains endroits sur lesquels vous avez des doutes. Vous savez combien je fais cas de vos avis et je vous prie de me les continuer. Quand vous m’enverrez la dissertation par quelque commodité, je vous prie de m’en donner avis par la poste. Je vous le recommande afin qu’elle ne s’égare pas et vous prie de croire que personne n’est avec plus de reconnaissance et d’attachement que moi, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Papon de l’Oratoire.

document thumbnail

Par les mêmes auteurs

Sur les mêmes sujets

Sur les mêmes disciplines

Exporter en