Lettre de Antoine Gouan à Jean-François Séguier, 1774-09-01

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Date

1 septembre 1774

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CC-BY-4.0 , Bibliothèque Carré d'Art, Nîmes


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Botanique


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Antoine Gouan et al., « Lettre de Antoine Gouan à Jean-François Séguier, 1774-09-01 », Archives savantes des Lumières. Correspondance, collections et papiers de travail d'un savant nîmois : Jean-François Séguier (1703-1784), ID : 10.34847/nkl.a2a80fz4


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Résumé 0

[fol. 193] Comme j’étais prévenu, mon cher ami, depuis quelques jours du passage de l’abbé Bertholon, j’ai pu à l’aise préparer cette lettre et entrer avec vous dans certains détails. J’ai plus fait, j’ai trié parmi les liliacées toutes celles qui ont fourni des cayeul et en conséquence l’abbé Bertholon vous remettra tout ce que j’ai pu dans ce moment vous donner par préférence à vous et à M. Baux, les autres auront leur tour. Les plantes de Bruguières n’ont pas encore fleuri, ainsi vous n’en aurez pas encore et lorsque vous en aurez, vous ne saurez peut être pas leur nom par la raison qu’il faut qu’elles veuillent nous montrer leur beau visage : tout ce que j’en connais c’est que leurs feuilles quelquefois se ressemblent, sont très singulières de même que leurs bulbes sont ou tuniqués ou écailleux et par là annoncent des espèces distinctes quoi que les feuilles se ressemblent. L’Ixia maculata est très jolie ; toutes ces liliacées sont charmantes et vous fleuriront en avril et mai 1777. L’Alstroemeria et l’Hyacinthus monstrosus ont fait la parure de mon jardin et m’ont donné une ample moisson. Je n’ai pu vous sécher un brin du Cachrys cretica anglicae folio asphodeli radice. Une seule a fleuri ; je vous en envoie un cayeul, c’est une superbe ombellée qui aime le levant et l’eau. J’avais fait donner à Dombey une brillante commission pour la botanique et son voyage était fixé au mois d’octobre. Messieurs de Turgot et Malesherbes avaient déterminé de l’envoyer à Quito et afin d’engager les savants à travailler, on lui donnait outre les appointements une pension viagère à son retour et une place, soit dans un hôpital militaire ou de marine dans un port de mer comme Toulon, Brest, & c. Le changement arrivé [fol. 193v] dans le ministère fait avorter toutes ces belles choses, à moins que le successeur de M. Turgot ne protège les sciences comme il le faisait et ce n’est pas le seul projet auquel le changement des ministres porte coup dans ce moment. Je vous en parlerai plus bas. Je passe à ce qui concerne mes affaires. Dans le temps, j’aurais fort voulu entrer avec vous dans un détail circonstancié de mes affaires parce que je connais votre amitié pour moi, mais j’en ai été empêché par les affaires de l’université. Je le fais aujourd’hui parce qu’il est doux de raconter ses malheurs à ceux qui les partagent. De retour de Toulouse je fis toute sorte de démarche pour engager les ennemis de mon père à abandonner leurs poursuites et nous leur offrîmes généralement tout. Ils parurent s’y prêter et voulurent un état général des biens. Il leur fut donné et par cet état nous leur fîmes voir que nous ne pouvions leur donner la somme de 40 000 lt. qu’à la faveur de la vente générale et de l’abandon des portions que chacun de nous avait sur les biens de ma mère, de même qu’en leur offrant le département des arriérés dus à mon père qui montait de 4 à 5 000 lt. puisque tous les biens ne consistaient qu’en ce que ma mère et ma tante nous avaient laissé. Nous ajoutâmes même qu’il fallait en distraire 8 000 lt. que nous enfants devions à des amis qui nous les avaient prêtés pour défendre mon père et faire des voyages à paris, Toulouse, & c., dette qui nous concernait spécialement nous et à laquelle nous devions faire honneur avant de penser à celles de mon père. La première réponse fut que je n’avais qu’à payer cette somme sur mes revenus et qu’ils ne prétendaient point faire cette distraction. Ainsi me voilà d’abord [fol. 194] forcé à une diminution considérable pendant quelques années. On eut beau leur faire entendre qu’il fallait avec mes revenus nourrir ma famille, tout fut inutile. L’affaire étant ainsi entamée, les sindics nous donnèrent la formule d’un placet et nous firent dire qu’il était de notre intérêt de ne pas porter à la compagnie la consistance des biens parce qu’offrir tout d’une part et de l’autre faire voir des misères, des dettes à payer & c ce serait un tire laisse et que de pareilles démarches seraient mal reçues, qu’ils se chargeraient de faire revenir la compagnie : qu’en outre, nous devions sans restriction signer ou faire signer par mon père toutes les quittances en vertu desquelles la compagnie pourrait se faire payer et prendre sur son compte les arrerages dûs à mon père, qu’on engagerait la compagnie à se relâcher ensuite de ces gages arretagés ; nous fûmes conduits en un mot par les sindics, nous signâmes tout. Il arriva de là que lorsqu’on porta nos propositions à la compagnie, elle a tout voulu sans restriction : qu’on nous a frustré même des gages, arrerages quoi qu’on convînt qu’ils nous étaient dus et les sindics qui nous avaient tout promis furent les premiers à empêcher la compagnie de se relâcher de ce qu’ils avaient eux-mêmes solennelement promis au curé de la paroisse qui se mélait de cela parmi eux. Un sindic exposa qu’ils avaient promis au nom de la compagnie ; qu’en conséquence de la consistence des biens nous ne pouvions livrer en entier cette somme, il fut démenti par les autres et il fallut signer tout ce qu’ils voulurent… la forme de l’acte les embarassa. Ils ne voulurent pas laisser des vestiges publics de ce qu’ils avaient osé spolier des enfants malheureux, ils imaginèrent de faire intervenir mon frère aîné, comme donataire qui déléguat à la compagnie la somme de 40 000 lt. et ils crurent par là donner le change au public qui savait très bien que mon frère n’avait [fol. 194v] que 20 000 lt. qu’il abandonnait pour sa part mais le public n’a point été la dupe de cette tournure-là. Enfin, dans l’acte, ils n’avaient indiqué aucun terme pour le paiemnt et les sindics nous avaient promis de nous donner un an pour vendre mais l’acte ne fut pas plutôt signé chez le notaire que le lendemain même le premier président alla en personne chez le curé lui dire que si avant deux jours l’argent n’était pas compter aux sindics, il assemblerait la compagnie et l’engageait à se retraiter. Nous fûmes donc obligés de vendre l’argenterie, meubles et dans la journée nous y perdîmes plus de 1 000 lt. et d eplus il fallut trouver un ami qui nous prêtât sur le moment 16 000 lt., attendu qu’on ne vend pas une maison comme on vend de la vaisselle chez un orphèvre. Le plus pressé était donc de payer ces gens-là et tout fut fait dans les trois jours. Vous voyez qu’il n’est pas possible d’imaginer que les chefs d’une compagnie telle que celle-là puissent se comporter de cette façon et avoir aussi peu d’égard et d’humanité… d’autre part Mme Gouan, ma belle sœur qui sans contedit devait entrer dans nos peines, exigea qu’on lui payât trois années d’intérêts qui lui étaient dus par mon père sur sa dote. On lui fit entrevoir qu’elle avait été nourrie pendant 14 ans, elle, son mari, ses enfants, ses domestiques, sans rien payer pour son entretien général et qu’il était injuste d’exiger ce que mon père lui devait pour ces trois années-là. Elle répondit qu’elle voulait être payée sans quoi elle se refuserait à tout accomodement, de sorte que crainte de voir encore manquer l’accomodement par un ennemi domestique, il fallut consentir à payer sur mes revenus une somme à laquelle elle avait d’autant moins de droit qu’on aurait pu au nom de mon père exiger d’elle une somme pour sa nourriture pendant quatorze ans, soit de son mari et de ses enfants… me voilà donc grevé de toutes les façons soit par [fol. 195] les étrangers soit par une femme qui, ayant été regardée comme un enfant de la maison bien loin de partager nos peines, les a augmentées. J’ai été heureux d’avoir un ami qui généreusement m’a prêté dix mille francs pour terminer avec la cour des aides. J’ai mis la maison en vente, il y a une offre de dix mille francs, mais elle n’est pas relative à la valeur de la maison ni suffisante pour payer els dix mille livres que l’ami m’a prêtés et les mille écus que Mme Gouan a exigés. Je crains pourtant d’être forcé à la laisser à un bas prix parce que si l’ami venait à avoir besoin d’argent, il n’est rien que je ne fasse pour le rembourser. D’après cela, je ne balancerai pas à me défaire de mon jardin pour servir cet ami et faire taire Mme Gouan, quoi que cet effort me soit nécessaire et que je l’ai acheté pour me servir de retraite. J’irai plutôt me loger dans un carrefour, abandonner ma chère botanique que de laisser un ami à la brèche et m’exposer aux tracasseries d’une femme que l’intérêt domine plus que l’honneur. Sans doute vous êtes surpris que mon frère ne la gouverne. Vous ne le serez plus lorsque vous saurez de lui de son côté qui a tout abandonné pour mon père devait de son côté cinq mille livres qu’il a fallu néanmoins promettre de payer. Voilà donc seize mille livres que je dois représenter et payer de mes épargnes annuelles ou de la vente de la maison si je la vends de onze à douze. Je payerai dans peu de temps les quatre ou cinq restants et dès lors le jardin qui appartenait à mon père me reviendra. C’est un effet que j’aurai vendu huit mille livres mais que je garderai plutôt que le mien. 1°. Parce que le bâtiment est neuf et que c’est un asile pour ma famille et surtout pour mon père qui est vieux et pour qui une maison en ville serait une prison, au lieu qu’il a la liberté de se promener à toute heure. 2°. Parce que mon jardin quoi que grand, beau et bien planté d’arbres qui dans trois ans me rapporteront beaucoup de revenus ne serait logeable pour une famille que par des réparations que je ne ferais point quand [fol. 195v] même quand je le pourrai, parce que mes ennemis ne manqueraient pas de crier et de dire qu’il y avait de l’argent caché. Vous votez par ce détail tous les malheurs auxquels j’ai été exposé et si je mourrai dans trois ou quatre ans, mon seul jardin payerait bien mes dettes et il ne resterait à ma famille que le petit jardin de mon père : perspective affreuse qui n’a pas arrêté mon frère cadet et ma sœur qui ont abandonné leur légitime pour tirer mon père des mains de ses ennemis. J’ai éprouvé encore un nouveau revers par le changement des ministres Malesherbes et Turgot. Il y a deux mois qu’ils firent le projet de m’envoyer voyager en Perse dans tout le Levant, on me réservait en entier pendant mon absence mes appointements et on me donnait pendant mes courses des appointements nécessaires pour els bien faire. La chose allait être baclée lorsque ces deux ministres ont quitté leur place, ainsi lorsqu’on est né malheureux, on l’est toujours. Sur ce dernier point, je vous recommande le plus grand secret, parc eque je ne ne sais pas si cela ne pourrait se renouer et qu’il est important que ma famille et surtout mes confrères l’ignorent pleinement, car d’une part la tendresse et de l’autre la jalousie, la rivalité m’empêcheraient de pouvoir rétablir la fortune de ma famille. Mon frère cadet a été abbé pendant 7 ans, il est tonsuré, je l’ai engagé à reprendre cet état-là, quelques amis m’ont promis de lui donner quelque canonicat si cela était à leur semaine et pour cela il n’a qu’à s’y préparer. Il n’est pas nécessaire qu’il paraisse en rabat ni soutane qu’au moment qu’il en sera averti et dès lors il ira se présenter au curé à un notaire à un ou deux témoins qui puissent constater qu’on l’a vu en rabat quelques jours avant qu’on lui ait conféré le bénéfice. Je vous dis ceci pour vous prier de votre côté de voir par quelques amis s’il ne serait pas possible de lui procurer [fol. 196] quelque bon bénéfice simple afin qu’au cas je vins à lui manquer il ait au moins de quoi vivre, lui, ma sœur et mon père s’il me survivait. Car quant à moi, je ne tremble que pour eux et pour eux il n’est aucun danger auquel je ne m’expose. Je connais la bonne intention de mes amis pour moi et surtout d’un qui s’il peut et qu’il meure avant moi me fera certainement un petit legs uniquement parce qu’il voit que mon jardin est mon ouvrage, qu’il m’est nécessaire comme objet de distraction et qu’il est le receptacle journalier de nombre d’amis, comme était jadis la maison du pauvre Romieu pour Batigny, de Ratte, Sauvages, Montet et autres. Pardon mon bon ami de l’ennui que pourra vous causer la lecture de cette immense lettre que vous ne trouverez pas longue si comme moi vous prenez plaisir à vous entretenir avec un ami que je respecte et que j’aime. Je suis tout à vous pour la vie et votre très humble serviteur. Gouan Cités : Jean-Guillaume Gouan (né en 1708), avocat à la cour des comptes, puis conseiller maître Gouan mère et tante Anne Salavy Jean-Baptiste Honoré Gouan (1732-1810) frère ainé, avocat, conseiller maître de la cour des comptes aides et finances en 1767, se démet en 1776 [et sa femme] Catherine Cot. Batigny ? Jean-Baptiste Romieu (1723-1766), avocat

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