Lettre de Jean-François Séguier à Antoine Court de Gébelin,

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Jean-François Séguier et al., « Lettre de Jean-François Séguier à Antoine Court de Gébelin, », Archives savantes des Lumières. Correspondance, collections et papiers de travail d'un savant nîmois : Jean-François Séguier (1703-1784), ID : 10.34847/nkl.e66b130v


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Résumé

[transcription] Monsieur, J’ai communiqué hier à l’Académie la lettre de M. Lecointe et les extraits de votre ouvrage. Après en avoirfait lecture, on a été étonné de l’étendue du projet que vous avez formé. Il n’appartient qu’à une personne qui a autant de connaissance des langues de l’avoir imaginé et de l’avoir conduit aussi heureusement que vous l’avez fait. Toute l’assemblée a applaudi, mais comme les objets de littérature que nous nous sommes proposés n’ont presque aucun rapport avec celui qui vous occupe et que vous avez bien voulu nous communiquer, il nous serait bien difficile d’en connaître toute l’étendue et toute l’utilité que les sciences peuvent en retirer. Un de nos académiciens nous a cependant observé que plusieurs grands hommes et de fort habiles critiques avaient eu des idées conformes aux vôtres et avaient fait des recherches qui pouvaient conduire à la même fin. On convenait dans les siècles passés que la langue hébraïque était la langue primitive, que c’est d’elle que le phénicien, le chaldéen et l’arabe étaient dérivés et d’autres savants ayant poussé plus loin leurs recherches avaient tâché de faire voir que le grec et le latin étaient dérivés de la langue hébraïque et qu’ensuite les langues italienne, espagnole et gauloise qui étaient descendues du latin devaient reconnaître l’hébraïque pour leur source et que c’est à elle qu’il fallait y rapporter l’origine et l’étymologie de plusieurs mots. Walton cependant dans son traité de Linguarum natura et origine ne convenait pas de l’universalité de ce principe. Statumdum est, disait-il, non omnes linguas ex Hebraica orta est. Et ensuite il rajoutait: Hoc itaque fixum sit, varias et vivera […] linguas primaevas, non prima dialectas. Quoi qu’il en soit de l’opinion de cet illustre critique, on a vu que le P. Thomassin dans sa Méthode d’étudier la grammaire ou les langues imprimées à Pau en 1690 a voulu prouver [fol. 89 v] par une suite d’étymologie que c’est de l’hébraïque que sont dérivés le grec et le latin et un grand nombre de mots de celle des langues vulgaires. Longtemps avant lui, Étienne Guichard dans son Harmonie étymologique des langues imprimées à Pau en 1618 in 8°, Th. Hayne De Linguarum cognatioe et harmonia, Londini 1648 ont voulu démontrer que toutes les langues sont descendues de l’hébraïque. Davis a voulu dériver celle du pays de Galles de la même langue. Boxhomius le Gaulois, Vormius le danois, Mitiler l’allemand. Thomassin dans ses trois petits glossaires y a voulu réduire la langue punique, la malaye, la saxonne, dont paraissent sortir celles du Nord. Mais faudra-t-il dire de tous ces savants ce que dit Walton de quelques vers omnes conatu irrito. C’est à vous, Monsieur, qui pouvez si bien en juger à nous dire s’il avait raison. Il n’y a pas jusqu’à l’américain dans lequel on ait reconnu des vestiges de la langue hébraïque, comme Homius dans son Traité de Americanorum origine a voulu nous le faire envisager. Toutes les langues ont véritablement un certain nombre de mots qui montrent quelque affinité. Camerarius en avait ramassé un grand nombre qui étaient allemands et grecs. Scaliger et Gravius avaient observé que les Allemands et les Anglais ont plusieurs mots qui leur sont communs avec la persane. Il serait inutile de rappeler ici tout ce que Postel De 12 linguae et Boxhomius De originibus gallicii en ont écrit. a est fac lingua, dit encore le savant Guichard déjà cité, quae ex alii verba quaedam non sit … Ceux qui sont restés quoiqu’en […] en sont une preuve. On a convenu avec vous qu’on est […] de voir le rapport qu’ont certains mots des langues vivantes de l’Europe avec les […] [fol. 90 r] Cette même personne qui nous parle de ses observations convenaient avec vous que tous les peuples ont dû dans un temps parler la même langue et que les altérations qu’on y a faites dans la suite laissent encore apercevoir des traces du mot radical auquel il faut rapporter les dérivés. Il a paru que les mots les plus nécessaires devaient cependant s’être le moins altérés. Ceux par exemple d’homme, de femme, de ciel, de chien animal le plus commun, de certaines actions qui reviennent le plus souvent, devaient être sus de tous les hommes et avaient passé de bouche en bouche aux peuples les plus éloignés sans s’être métamorphosés de façon qu’on peut la méconnaître. La comparaison qu’on en fait n’est pas cependant favorable à cette idée. On pourrait faire une longue liste de quantité de mots qui paraissent le peu de rapport des langues entre elles. Les critiques et les savants étymologistes n’ont parlé que des mots qui pouvaient prouver leur système et se sont donnés bien de garde de s’arrêter à ceux qui pouvaient, je ne dis pas les détruire, mais même les rendre douteux. Vous blâmez, Monsieur, leur méthode et vous convenez qu’ils s’y sont mal pris. Vous suivez ce nous semble la même route et quoique vous ayez pris l’arabe pour y rapporter comme à une langue primitive une grande quantité de mots, c’est tout comme si vous vous êtes servi de l’hébreu qui moins abondant ne pouvait vous donner autant d’étendue et de facilité. [fol. 90 v] Nous convenons que les jargons des peuples ou, pour parler plus correctement, la langue de ces mêmes peuples qui s’est conservée dans les idiomes que nous appelons patois décèlent l’origine de plusieurs mots dont ils se servent. Ce patois est plus pur, plus analogue aux mots primitifs de leur ancienne langue dans la montagne et dans les lieux moins fréquentés. Mais faut-il toujours rapporter à une langue commune à toute la terre les vocabulaires qui composent cette langue? C’est ce qu’on pourrait disputer. Vous avez fait une application heureuse de plusieurs de ces mots avec ceux d’une langue orientale que vous possédez fort bien et vous avez été étonné du rapport que vous y avez découvert, votre méthode ouvrant un vaste champ à des découvertes, et elle devenait d’autant plus intéressante à mesure que l’application en devenait heureuse et facile à une personne comme vous qui avez tant de connaissances. Vous posez ensuite des axiomes que la terre était labii maius, que les peuples avaient la même religion, le même gouvernement, la même tradition et les mêmes usages. Voilà un champ bien vaste et une matière bien ample pour disputer, susceptible d’une infinité de découvertes. Que d’ouvrage. Un dictionnaire de la signification de tous les noms propres dans toutes les langues a de quoi lasser la patience d’un homme le plus assidu au travail. J’ai quelquefois essayé de découvrir l’origine de plusieurs noms de famille usités dans le patois en Languedoc, mais pour quelques rapports satisfaisants, j’en ai trouvé un grand nombre d’autres qui ne me produisaient qu’une incertitude que je ne pouvais vaincre. Nos noms français sont encore plus difficiles parce qu’ils ne sont point significatifs et que l’origine des noms de famille n’ont commencé que depuis quelques siècles. J’ai souvent fait usage pour ceux de l’Écriture du Lexicon de Francus, Hanovre, 1634 in 8° qui m’a paru un des meilleurs [fol. 91 r] Vous avez raison d’appeler un morceau neuf ce que vous annoncez sur la langue primitive, sur ses voyelles et ses consonnes, sur la composition des mots. Si Scaliger, qui avait composé 80 livres [pages ?] sur l’étymologie de la langue latine, ouvrage qui s’est perdu après sa mort, si, dis-je, ce savant revenait aujourd’hui et qu’il vous vit annoncer un dictionnaire universel de toutes les langues savantes anciennes et modernes que serait son étonnement. Pouvait-il penser qu’il y eut un homme si laborieux qui put l’entreprendre.Cela ne vous effraya point et à l’aide des mots primitifs et radicaux vous espérez d’en venir à bout. Mais pourrez vous en trouver toutes ces racines matrices et y rapporter tous les mots qui ont tant varié pour arriver jusqu’à nous? Mais pour nous rapprocher de l’essai que vous nous présentez de votre méthode par rapport à quelques nomes languedociens, nous allons vous dire librement ce qui nous a paru. Votre conjecture étymologique sur le nom que porte notre ville paraît ingénieuse et on pourrait l’adopter si nous étions persuadés que le nom de notre ville n’avait pas plus d’ancienneté que la colonie qui vint s’y établir. Les Romains en conduisant des colonies ne changèrent pas les noms des villes qui les recevaient. Narbonne s’appelait Narbo avant que la colonie que César y conduisît. On y rajouta tout au plus quelque épithète flatteuse pour rappeler celui qui l’avait amené. Elle porta donc le nom de Julius Paterna et dans les inscriptions elle s’appela ensuite Colonia Julia Paternum Narbo. La ville d’Arles, Arelate, fut nommée Arelate sextanorum parce qu’on y avait conduit des soldats de la sixième légion. Lugdunum fut surnommée Colonia Claudia Copia Augusta, mais on ne changea pas [fol. 91 v] les noms de ces villes en y amenant de nouveaux hôtes : tout au plus les Romains changèrent la désinence, la terminaison de ces mots pour les familiariser avec leurs langues et le nom primitif qu’elles portaient auparavant y reste toujours. Si nous étions persuadé que le nom de notre ville fût aboli lorsque la colonie y fut conduite, nous pourrions adopter votre conjecture et tous les rapports que vous trouvez entre son nom et le roi d’Égypte Ichnenmon. Notre ville ne doit sa première origine qu’à sa fontaine qui anciennement portait ce nom et qui est devenu ensuite celui de la ville. Les inscriptions anciennes que nous avons, où l’on fait si souvent des vœux à Nemauso, n’indiquent que le nom du fondateur Nemausus, mais celui de la fontaine [...] Comme il serait aisé de prouver. Notre ville était extrêmement peuplée au temps d’Augsute. Les édifices que l’on y éleva alors prouvent qu’elle devait être très considérable puisqu’on l’en décora. Elle avait un district étendu et plusieurs bourgs et vici qui en dépendaient. Ce ne fut donc point la colonie qui lui changea son nom qu’elle portait longtemps auparavant. Votre étymologie d’occitania paraît meilleure que celle de la langue d’oc. Il est pourtant sûr que oc dans certains cantons de notre province se dit pour oui. Oc, cette affirmation n’y a aucun rapport. Il y a aussi toute apparence que ce pays de Languedoc, cette occitania, avait un nom avant que les Celtes suivent nous l’appelassent Pays chaud…

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