22 juin 2023
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Gilles Gauvin, « Une certaine idée de la francophonie dans l’océan Indien : l’académicien et vice-recteur de La Réunion Hippolyte Foucque (1887-1970) », Revue Internationale des Francophonies, ID : 10.35562/rif.1442
Hippolyte Foucque a été un des plus grands érudits réunionnais de la première moitié du xxe siècle. Agrégé de lettres classiques, il devient proviseur du prestigieux lycée Leconte-de-Lisle en 1930, puis chef de Service de l’instruction publique de la colonie, avant d’être nommé, à partir du 1er janvier 1948, inspecteur d’académie faisant fonction de vice-recteur du jeune département de La Réunion.C’est à l’Académie de l’île de La Réunion, société savante créée en 1913, que Foucque participe principalement à la valorisation des travaux menés par l’élite intellectuelle de l’île. Benjamin de cette institution coloniale en 1918, il en devient le président de 1932 à son décès, le 1er août 1970. Il a été l’auteur de plusieurs ouvrages mettant en valeur l’histoire, la géographie et plus globalement la culture littéraire et scientifique de l’île à travers ses « grands hommes » et en particulier ses poètes (c’est un grand spécialiste de Baudelaire). Foucque est en fait le pur produit de l’école de la IIIe République, celle qui a construit l’identité nationale sur l’amour des « petites patries ». Après son départ à la retraite, c’est à travers des formes d’éducation populaire que Foucque poursuit son engagement intellectuel. D’abord par la presse écrite, mais c’est en particulier à travers une émission de radio intitulée, « Le vol du Paille-en-queue », diffusée sur l’ORTF à un rythme bimensuel, qu’il diffuse, sous le pseudonyme de « Grand-Père Onésime », entre 1964 et 1969, des connaissances à un public très large de Réunionnais qui ignoreront sa vraie identité.L’étude du corpus inédit de 168 émissions radiodiffusées entre 1964 et 1969 nous permet d’appréhender la vision que se fait Foucque de la francophonie dans l’océan Indien et qu’il diffuse à ses jeunes auditeurs. On peut alors constater que l’érudit porte un regard nostalgique sur l’époque où Maurice, « l’Île Sœur » était avec l’île Bourbon, le porte-drapeau d’une certaine grandeur de la civilisation et de la culture françaises. Si la part prise par les Hindous dans son peuplement, du fait de l’engagisme mis en œuvre par les Anglais, a fait basculer, à ses yeux, l’île Maurice vers un autre destin, il existe pour lui dans cette île un important patrimoine culturel français qui continue de vivre. On constate, par ailleurs, que le continent africain est le grand absent du tour du monde radiophonique qu’Hippolyte Foucque entreprend. S’il existe bien un lien entre le peuplement initial de Bourbon et Madagascar, qui est signalé à travers la place tenue par les femmes, la Grande Île est finalement la grande oubliée. Rien n’est dit sur son destin depuis l’indépendance de 1960, comme rien n’est finalement dit de l’importance tenue par les esclaves malgaches et africains dans l’histoire de Bourbon, ou que rien n’est dit sur la volonté réunionnaise de coloniser Madagascar à la fin du xixe siècle, ou encore sur l’expérience de la Sakay mise en œuvre à partir de 1952. À l’inverse, l’Inde, dont est également originaire une partie de la population réunionnaise, est largement évoquée dans son histoire coloniale et depuis l’indépendance. C’est dans les départements français de la Martinique et de la Guadeloupe que Foucque trouve une communauté de destin à La Réunion et à la France, à la fois par le passé colonial, mais également par les enjeux économiques et démographiques qui restent à relever. Cependant pour Foucque, La Réunion reste davantage à l’abri des difficultés politiques et des tensions communautaires que les départements antillais.Finalement Hippolyte Foucque témoigne d’une certaine vision « de la plus grande France » qui s’est poursuivie, sous des formes diverses, en particulier dans l’Éducation et les médias, et qui a contribué à couper les Réunionnais de leur environnement géographique proche pour les faire regarder avant tout vers la France continentale.