10 juillet 2024
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Eugénie Matthey-Jonais, « Expérience éthique de la lecture : dispositifs narratifs dans Ce que j’appelle oubli de Laurent Mauvignier », ELFe XX-XXI, ID : 10.4000/11zmg
Ce que j’appelle oubli (2011), de Laurent Mauvignier, relate le passage à tabac et la mort d’une personne sans domicile fixe aux mains de gardiens de sécurité d’un supermarché à la suite d’un vol à l’étalage. Inspiré d’un fait divers, le texte, monologique, s’adresse à quelqu’un que l’on découvre progressivement être le « frère » de la victime. Le texte ne fait pas que donner à voir ; il donne à ressentir, à expérimenter, par une exploration détaillée et évocatrice du ressenti physique de la victime, des émotions relayées par la narration comme celles, anticipées, de la personne à qui le texte s’adresse, le « frère » lecteur. De nombreux dispositifs contribuent à créer ces effets de lecture : la narration indéterminée ainsi que la forme même du texte créent une expérience de lecture singulière. Cet article identifie les moyens précis par lesquels le texte fait vivre cette expérience au lecteur (narration, forme, interpellation). Au-delà de l’expérience de la violence relatée, c’est aussi sur l’expérience humaine de la relation entre la narration et le destinataire, entre le témoin et le frère, que repose le texte. Les particularités et l’intensité de l’engagement qui est demandé de la part du lecteur contribuent à créer chez lui une certaine responsabilité. En effet, par l’acte de « reconstruction (méta)herméneutique » (Korthals Altes, 2016) que le lecteur accomplit, il exerce une responsabilité en lisant le texte. Comme la voix narrative est indéterminée, le lecteur doit lui-même gérer les contradictions, les affects et les problèmes devant lesquels le place le texte de Mauvignier. Ainsi, en interprétant le texte, le lecteur vit à travers les rôles du témoin, de la victime et de l’endeuillé, plus qu’une expérience de la violence, une expérience éthique.