16 juillet 2020
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Léo Courbot, « “Many Rivers to Cross:” Orphic Confluences of Fred D’Aguiar’s Children of Paradise and Wilson Harris’ Palace of the Peacock », Angles, ID : 10.4000/angles.1089
La critique aborde rarement les questions d’interculturalité en termes de confluence. En effet, les chercheurs ont tendance à recourir à la théorie du chaos (Glissant, Benitez-Rojo), aux tropes océaniques (Gilroy, Brathwaite) et aux phénomènes langagiers en tant que tels (Chamoiseau, Bhabha) pour parler de ces sujets. C’est en partie étrange, tout d’abord parce que nombre de villes, sur tous les continents, dérivent leur cosmopolitisme de leur fondation sur les rives de fleuves et les littoraux. Qui plus est, le suffixe -fluence et les mots formés à l’aide de celui-ci peuvent lier, de manière métaphorique, phénomènes fluviaux et structures linguistiques: la métaphore elle-même peut être décrite comme confluence d’un syntagme avec un paradigme inhabituel. Par conséquent, si la confluence de deux fleuves jaillissant de lieux distincts potentiellement peuplés par des groupes culturels différents peut être transformée en métaphore, alors il est probable que la confluence topographique ainsi traduite devienne une manifestation tropologique de l’interculturalité: topos fluvial et tropos langagier, les tropiques et les tropes, se mêleraient en ce que je propose d’appeler une tropicalité. Cependant, malgré le fait que la critique s’appuie rarement sur ces métaphores fluviales, les romanciers Wilson Harris et Fred D’Aguiar font preuve, dans leurs œuvres respectives, d’une exceptionnelle prise de conscience du potentiel poétique découlant d’une observation de la créolisation depuis l’angle de la confluence : il est intéressant, alors, de noter que les deux auteurs en question sont d’origine guyanaise, puisque « Guyane » signifie « territoire inondé » ou « territoire plein d’eau » et servait, dans une langue indigène et avant de définir le territoire en question par son vaste réseau fluvial, à désigner un affluant de l’Orénoque. C’est d’ailleurs dans ces eaux fluviales que Harris, en tant qu’explorateur et avant de devenir écrivain, a puisé son inspiration pour écrire des romans qui, dans la génération d’écrivains guyanais lui succédant, influenceraient profondément Fred D’Aguiar. Cette influence suggère aussi qu’en plus de la métaphore et de la topographie, l’intertextualité pourrait-être perçue comme une troisième forme de confluence, et ce sont ces trois types de confluence que je propose d’étudier dans le dernier roman de Fred D’Aguiar, intitulé Children of Paradise (2014), et dans le premier roman de Wilson Harris, Palace of the Peacock (1962), en prêtant une attention toute particulière à la façon dont ces deux romans eux-mêmes forment une confluence définie par des textures romantique et Orphique communes qui, à leur tour, laissent à penser que le romantisme et le réalisme merveilleux pourraient, en fait, être des traductions analogues d’une même perception Orphique de l’environnement.