11 janvier 2023
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Raphaël Rigal, « The Pre-Raphaelite city and the trap of modernity », Angles, ID : 10.4000/angles.6013
Les œuvres poétiques et picturales de la « galaxie préraphaélite », comme l’on pourrait appeler le groupe formé par Dante Gabriel Rossetti, la Confrérie Préraphaélite, et leurs proches, laissent voir une relation ambiguë à la modernité victorienne et au « progrès » technique et politique de l’époque, notamment l’urbanisation des Îles Britanniques. Majoritairement citadins, les Préraphaélites ont toujours été au contact direct de la ville moderne et de ses évolutions, et si le milieu urbain ne constitue pas leur sujet de prédilection, les peintures et poèmes qu’ils ont produits à partir des années 1840 et qui abordent ce sujet sont parmi les exemples les plus éclatants d’une philosophie altermoderne : cette approche mêle l’acceptation de certains aspects de la modernité, et le rejet de ses excès déshumanisants et aliénants pour former une via media, une alternative au Progrès et à l’industrialisation incontrôlés. Le retour à la Nature dont ils montrent la voie n’est pas seulement un regard passéiste et nostalgique, mais un véritable mode de vie, fondé sur la simplicité, la décence ordinaire, et l’égalité humaine, et dont William Morris, par ses pamphlets socialistes et ses propositions concrètes pour une ville nouvelle, se fit le chantre dans les années 1880. Ma démonstration s’appuiera sur un choix de quatre poèmes : « The Dead City » (1840) et « Goblin Market » (1862) de Christina Rossetti, « Jenny » (1848-1869) de Dante Gabriel Rossetti, et « Maryanne » (1854) de William Bell Scott, mis en relation avec le tableau The Gate of Memory (1857-1864) de D. G. Rossetti et certains essais de William Morris. Ce corpus constitue un ensemble dont les éléments se répondent et attaquent ouvertement l’artificialité aliénante du monde moderne et ses conséquences. Cet article examinera tour à tour trois aspects de la relation des Préraphaélites à la ville moderne. Le premier est sa représentation : la ville est une beauté fatale, séductrice et corruptrice, dont les rets se resserrent autour des personnages et dont les façades ne cachent que la mort. Cette critique ouvre la voie à une attaque contre la modernité urbaine caractérisée par un excès contre-nature et l’aliénation de l’homme. Les êtres y sont réifiés, méprisés, utilisés, trompés, et enfin se perdent dans un brouillard qui les éloigne de toute source de sens, dans le triomphe du capitalisme moderne. Après cette critique vient une proposition : un retour à ce qui fait l’essence de l’humanité. La définition de cette « essence humaine » varie selon les auteurs ; mais elle se centre toujours sur une connaissance intime de soi, du divin, ou des autres. La ville moderne n’est pas le mal absolu : même sa corruption peut créer la beauté. Mais c’est une ébauche, que le projet préraphaélite se propose de compléter, en permettant à l’humanité de développer son potentiel.