16 septembre 2020
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Mira Kamdar, « La fable de l’Inde : Diderot et le paradoxe sur l’Histoire des deux Indes », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, ID : 10.4000/books.editionsehess.22652
Tout en admettant l’imbrication des raisons commerciales et philosophiques qui attiraient l’attention des philosophes des Lumières sur l’Inde, Sylvia Murr, dans son remarquable article intitulé « Les conditions d’émergence du discours sur l’Inde au Siècle des Lumières », limite son analyse à la polémique de ces philosophes avec les jésuites et les savants. Elle souligne néanmoins le rôle de l’Inde dans l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes jouant comme une « ruse rhétorique » au cœur de ce qu’elle appelle une « machine rhétorique ». Mais qu’en est-il de cette machine rhétorique ? Il est courant d’y voir un discours qui ouvre une brèche dans l’idéologie des Lumières comme celle de la domination occidentale pour y laisser entrevoir un contre-courant radicalement anticolonialiste qui constituerait the other Enlightenment. À cet égard, les contributions majeures de Denis Diderot à l’Histoire des deux Indes ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs. Or, si l’on analyse de près ce que Sylvia Murr appelle la rhétorique de l’Histoire des deux Indes en la situant pleinement dans le champ des enjeux commerciaux et philosophiques, qu’elle laisse volontairement de côté, tout en prenant en compte la poétique toute particulière de Diderot qui y est déployée, l’argument d’une Histoire des deux Indes anti-impérialiste se doit d’être nuancé. L’étude présente offre une analyse de la poétique diderotienne, dont l’Histoire des deux Indes porte plus que l’empreinte, où l’Inde, et notamment les Indiens auxquels on prétend donner la parole, fonctionne comme une « ruse rhétorique », pour reprendre l’expression de Sylvia Murr, face à la tension entre deux Lumières manifestement contradictoires : celles d’un discours radical des droits humains universels et celles d’un eurocentrisme impitoyablement dominateur. L’effort de gérer cette contradiction requiert un paradoxe, un paradoxe poétique aux dimensions économiques et politiques.