18 février 2021
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Gérard Malkassian, « Devenir soi chez l’Autre : une approche de la question du moderne chez Krikor Beledian », Presses de l’Inalco, ID : 10.4000/books.pressesinalco.41252
Héritier d’un peuple mutilé et d’une langue « dépeuplée », Krikor Beledian conçoit la modernité comme une renaissance littéraire par le passage dans l’autre, l’étranger. Cette position s’appuie en premier lieu sur la conviction que le renouvellement d’une communauté en danger de dissolution passe par la littérature, seule à même d’affronter la perte de soi dans l’autre afin de l’intégrer à un niveau supérieur de la conscience de soi. Sa lecture de l’œuvre de Nicoghos Sarafian offre un éclairage remarquable, en ce qu’elle met en évidence l’exil et la dispersion comme cadres et conditions d’une poésie authentique, au prix du dérèglement de la langue et de la perte de sa pureté. Tout comme celle des romans et des nouvelles de Zareh Vorpouni met en lumière l’étude psycho-sociale d’individus membres des lambeaux d’une communauté blessée et déracinée. Les essais critiques accompagnent, chez Beledian, l’édification de son œuvre personnelle qui prolonge et amplifie dans la pratique littéraire ces considérations théoriques.La modernité est aussi politique, en tant qu’exigence d’une réponse à la hauteur du défi de la violence d’État génocidaire. Hölderlin et Adorno guident Krikor Beledian vers l’approfondissement de l’expérience catastrophique comme résistance à la barbarie dans la littérature et la spiritualité arméniennes. Peu à peu se dessinent les linéaments d’une « poétique de la Catastrophe » (աղէտ). Celle-ci appelle une dialectique de la réception littéraire de l’épreuve de la destruction, puis une histoire de ses formes d’écriture et de symbolisation : théologie négative au Moyen Âge, irruption des formes de violence de masse de l’État bureaucratique moderne, où Zabel Essayan fait écho à Grégoire de Narek dans une écriture catastrophique intériorisant la destruction pour la surmonter.L’affrontement à la modernité est aussi d’ordre moral. Krikor Beledian est attentif aux modalités et aux conséquences du traitement, par les écrivains de Paris – Chahnour, Sarafian, Vorpouni – du risque de la souillure, sous les formes de l’humiliation, de désir de vengeance, qu’engendre le crime, chez la victime survivante. Nous y retrouvons l’empreinte symbolique de Krikor Beledian écrivain : Témoin et Veilleur.