26 septembre 2022
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Naoual Mahroug, « Chapitre 3. Chuchotements et voix résistantes d’exilés en centre d’hébergement d’urgence », Presses de l’Inalco, ID : 10.4000/books.pressesinalco.44536
À l’appui d’un terrain ethnographique mené auprès des exilés au sein d’un Centre d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM) et dans les guichets de l’asile et salles d’attente des préfectures, l’article se propose d’étudier les pratiques sociales des langues pour, d’une part, éclairer la pratique de la langue française comme instrument de pouvoir et, d’autre part, dévoiler des résistances menées par les exilés dans leurs pratiques des autres langues face aux dominations linguistiques et bureaucratiques. La notion de marché linguistique de Pierre Bourdieu éclaire les rapports de pouvoir entre le français et les autres langues, parlées par les exilés. Au sein d’un marché linguistique, les valeurs des formes linguistiques demeurent inégales. L’usage de la langue française permet de dicter des règles de droit au sein des préfectures et des règles de fonctionnement dans le CHUM. La langue française s’impose pour contraindre voire discipliner les exilés dans leurs usages des administrations préfectorales ou dans leur quotidien au sein du CHUM. L’imposition du français se lit par un environnement linguistique dans lequel les autres langues sont exclues. Les exilés sont sensibles à ces rapports de pouvoir. L’article tente d’analyser cette sensibilité par le prisme des résistances. Les autres langues ne sont pas seulement des moyens de communication, elles peuvent doter les locuteurs qui les pratiquent d’une résistance. Ces résistances sont étudiées au travers de mécanismes par lesquels les acteurs contestent le statut dominant de la langue française. Les pratiques des autres langues par le bricolage renvoient aux façons dont les exilés se débrouillent avec des ressources linguistiques, autant verbales que non verbales, pour se faire entendre. Ces bricolages linguistiques ont précisément lieu aux seuils matériels des centres d’hébergement et des préfectures. Ces seuils sont des espaces propices à la négociation des normes, et permettent quelquefois de franchir des frontières symboliques, culturelles ou sociales. Les voix chuchotées des femmes hébergées au CHUM se révèlent quant à elles comme un instrument pour renverser la hiérarchie des langues. En outre, les pratiques de ces autres langues ainsi que les intensités des voix qui portent ces langues aboutissent à une double résistance : résistance aux règles imposées et résistance linguistique.