État, élites, communautés face à la catastrophe

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15 janvier 2021

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Grégory Quenet, « État, élites, communautés face à la catastrophe », Presses universitaires de Perpignan, ID : 10.4000/books.pupvd.11468


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Grégory QUENET est spécialiste d’histoire sismique : il a notamment fourni des conseils pour les études de site, en ce qui concerne les centrales nucléaires de France. Grégory QUENET a consacré une bonne partie de ses recherches aux séismes provençaux : ici, il s’attarde plus particulièrement sur la destruction de Manosque durant le printemps et l’été de 1708. Pour l’auteur, la date de l’événement est chargée de références au point de vue de la culture gouvernementale. De fait, entre l’hiver calamiteux de 1709 et la peste provençale de 1720, la monarchie administrative semble renforcer son paternalisme préventif, pour mieux prévoir et atténuer les disettes, les épidémies ou les catastrophes. Il est vrai que l’époque est marquée par les écrits humanitaires de grands visionnaires politiques, comme Boisguilbert, Fénelon, l’abbé de Saint-Pierre ou Vauban. Pour autant, le tremblement de terre paraît défier irrémédiablement la volonté de protéger plus efficacement les administrés. Par définition, le séisme est soudain et ravageur. Les connaissances de 1700 ne permettent pas du tout de l’anticiper. À Manosque, les bâtisses de la ville sont d’abord ébranlées le 21 mars 1708. L’architecture urbaine est ensuite anéantie ou fissurée par la paroxysme du 18 août 1708, un épisode noyé dans les chocs précurseurs et les répliques. Les constructions qui ne tombent pas immédiatement sont progressivement rongées par les pluies d’automne. Faute de réparations suffisantes, les nefs des églises continuent à céder dans l’intervalle de 1720 et 1735. Face au sentiment de fatalité qui entoure ce type incontrôlable de malheur, l’intendant Le Bret reste abasourdi. Il n’envoie pas d’enquêteur sur les lieux du drame. Il adresse un rapport allusif au Contrôle général, en puisant dans les récits des témoins et du bouche-à-oreille. Il apparaît ainsi que les secousses ont été perçues dans un rayon de soixante kilomètres, mais l’intendance se contente d’énumérer les destructions immobilières, sans faire allusion à des tués ou à des blessés. Trop déstabilisant pour être correctement cerné par la statistique intendancielle, le séisme de Manosque donne lieu à sept récits qui s’influencent mutuellement. Les sept versions s’entrecroisent, en échangeant tantôt des notations épouvantables, tantôt des détails impressionnants comme la frayeur collective des animaux ou l’affaissement du château des ex-comtes de Forcalquier, un édifice construit vers 1200. Six récits sur sept émanent d’habitants présents lors du drame. Le septième est rédigé vers 1773, par un voyageur de passage : ce dernier recopie un compte-rendu de 1708, et il le mêle avec une description de la fièvre qui accable Forcalquier en 1772. Les récits ont d’abord transité par la voie orale, puis ils ont été transcrits et dupliqués dans le réseau postal des « nouvelles à la main ». Adressée au duc du Maine, fils de Louis XIV, la version de l’abbé Marius a été publiée par le Journal de Trévoux, mais les autres retranscriptions sont apparemment restées manuscrites, même si l’une d’elles est conservée à Aix, dans la célèbre bibliothèque du marquis de Méjanes. Les deux descriptions prestigieuses émanent d’ecclésiastiques. Au total, quatre récits sur sept proviennent d’hommes d’Église, sans compter la copie de 1773, qui semble puiser directement dans le texte antérieur d’un clerc. En raison de ce prisme religieux dans l’établissement de la narration, le tremblement de terre perd de sa consistance matérielle, il dérive vers la représentation littéraire, en accumulant les petits constats impressionnistes, pour mieux les lier à une morale religieuse. Comme dans le conceptisme espagnol, l’horrible catastrophe sert de support aux déclamations menaçantes du prédicateur baroque, quand celui-ci invite les hommes à la reconversion chrétienne, pour éviter les Fléaux de Dieu. De manière plus anodine, mais importante à l’horizon de 1789, la communauté municipale de Manosque se sert du séisme pour nourrir ses polémiques ancestrales contre la ville proche de Forcalquier, laquelle est aussi le centre administratif de la contrée. Dans l’espoir de ravir un jour cette fonction à leurs voisins, les consuls de Manosque expliquent que Forcalquier ne les a pas aidés en 1708, contrairement à beaucoup d’autres villes provençales. La copie de 1773 ne fait que raviver cette diatribe, qui reprend encore plus vivement en 1790, lors de la départementalisation. Globalement, à travers ses sept clichés narratifs, le tremblement de terre de 1708 nourrit une littérature du sublime, où l’homme semble définitivement écrasé devant la Majesté naturelle. La perplexité de l’intendant symbolise à elle seule cette dimension fataliste. Pourtant, comme le suggèrent les dérives religieuses et communautaires du récit, l’événement finit par être banalisé par la mémoire collective, au point de former un argument-poncif, soit dans le prône du dimanche, soit dans la querelle de clocher.

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