L’eau et l’hygiène dans la Rome antique

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15 janvier 2021

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Martin Galinier, « L’eau et l’hygiène dans la Rome antique », Presses universitaires de Perpignan, ID : 10.4000/books.pupvd.11503


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Martin GALINIER construit son étude à partir des œuvres de Frontin, qui fut nommé Curateur des Eaux de Rome sous l’empereur Nerva, en 97 après J.C. Sous Trajan, entre 98 et 103, Frontin inscrivit sa réputation de magistrat hydrologue dans la postérité, car il rédigea et diffusa un traité qui devint un modèle du genre : Les aqueducs de la ville de Rome. À partir des consignes sanitaires et urbanistiques de Frontin, Martin GALINIER interroge l’art urbain des Romains, depuis l’avènement d’Auguste en 27 avant J.C., jusqu’à la mort de Marc Aurèle, en 180 après J.C. Pour procéder à son inventaire, Martin GALINIER s’appuie sur une double problématique : premièrement, comment les promoteurs de la Rome impériale appliquent-ils les critères classiques de l’urbanisme grec ? Deuxièmement, en quoi Vitruve a-t-il renouvelé ce classicisme, lorsque, vers 23 avant J.C., il dédia à Auguste son célèbre traité De Architectura ? Les deux questions conduisent à montrer comment les experts de la Rome impériale ont appliqué ou réinterprété les règles de l’hippocratisme urbain, une discipline qui conjugue la médecine préventive, la régulation des constructions et le défense de l’utilité commune dans l’agencement des villes. Questionner la transmission romaine de l’hippocratisme est essentiel, car la conception médicalisée de la ville a fortement influencé Vitruve. Tout en oubliant le maître romain, les coutumes de voirie du Moyen Âge ont conservé une partie de la tradition. Plus encore, en 1415, les humanistes italiens ont redécouvert Vitruve. En 1483, ils ont publié post-mortem le De Re aedificatoria de leur collègue Léon Battista Alberti : dès lors, l’hippocratisme et le vitruvisme sont devenus les deux colonnes des rénovations urbaines dans tout le monde occidental. Hippocrate est sans doute le fils d’un prêtre d’Asclépios, le dieu de la médecine. Vers 500 avant J.C., Hippocrate affirme son principe fondamental : il convient de soigner le cadre urbain comme un homme malade. Il faut éloigner son métabolisme des corruptions environnementales, et le placer inversement en des sites où les forces bénéfiques de la nature peuvent le conforter. Pour Hippocrate, le bon site urbain évite l’exposition au nord, les sols fangeux et les vents excessifs. Vers 400 avant J.C., Platon reprend l’idée lorsqu’il recommande les sites d’acropole, sur des rochers à l’écart des côtes et des marais. Vers 300 avant J.C., Aristote abonde dans le même sens, mais il songe surtout à esquiver les vents porteurs de miasmes, tout en recommandant vivement la séparation des sources : celles qui servent à boire d’un côté, celles qui n’aident qu’au travail de l’autre. Pour traiter son sujet, Martin GALINIER compare les suggestions du De Architectura vitruvien et les recommandations du volume Air, eaux, lieux, un ouvrage que la tradition attribue à Hippocrate. Air, eaux, lieux incite le médecin et l’architecte à étudier l’âpreté des saisons, les propriétés pathogènes des vents, la qualité digestive des eaux. Dans la filiation grecque, Vitruve préconise les sites moyennement élevés, à l’écart des vents porteurs de brumes, avec une orientation qui évite à la fois le nord et le plein sud. Frontin participe pleinement à cette ambiance classique. Alors que Rome comporte onze aqueducs en 226 après J.C., le curateur en surveille déjà neuf sous Trajan. Frontin concentre son attention sur deux concepts techniques : la Salubritas -Hygia chez les Grecs- et la Dynamis de l’eau. La salubritas vise à éviter l’environnement malsain, et à le combattre pour le faire reculer. L’extension des aqueducs, la ramification des égouts, ou le lavage à grand flot des évacuations des eaux usées : toutes ces actions contribuent à la lutte salubre. L’étude de la dynamis conduit à évaluer la qualité gustative des eaux distribuées, pour séparer les plus buvables des plus utilitaires. Sur ce terrain, Frontin progresse beaucoup par rapport aux Grecs : afin d’éviter les pannes de fontaines et les mélanges de provenances, il multiplie les jets à double distribution séparée. Édifié par le fait que l’eau turbide pollue toujours l’onde limpide, Frontin espère ainsi attirer le buveur vers le débit le plus cristallin. L’innovation est louable, car Hippocrate réservait l’eau transparente aux malades. À l’opposé et contrairement aux Grecs, Frontin approuve le captage des eaux de surface sur les lacs, quand elles sont limpides et moyennant décantation. Par conséquent, il apparaît que les disciples de Vitruve ne pratiquent pas l’hippocratisme littéral : ils combinent la tradition classique avec des expériences, des adaptations et des évolutions. Quoi qu’il en soit, la différence majeure entre les Grecs et les Romains réside dans le développement des thermes publics, des établissements qui deviennent fastueux durant l’époque impériale. En 62, Sénèque semble dépassé par la mode, lorsqu’il écrit sa 86eme Lettre à Lucilius : dans cette missive, il affecte un ton de moraliste pour louer la rusticité de Scipion l’Africain, lequel ne séjournait que quelques minutes dans des bains exigus, sombres et mal alimentés en eau. À l’époque de Frontin, en 109 après J.C., les thermes de Trajan entrent en fonction, avec leurs salles aux températures modulées, leur profusion de piscines, leurs décors de marbre, leurs collections de statues, leurs fenêtres ensoleillées, leurs glaces et leurs miroirs. À ce point d’aboutissement, et dans la terminologie vitruvienne, la nécessité et la commodité le cèdent à la volupté. Tel est bien le recadrage fastueux qui prévaut encore au IIe siècle, lorsque le satiriste grec Lucien de Samosate décrit les thermes idéaux -mais vaguement situés- de l’architecte mythique Hippias. Pour autant, le luxe thermal participe tout de même à la logique grecque, lorsque ses adeptes cherchent des arguments curatifs aux agréments qu’ils éprouvent. Au premier siècle après J.C., les vertus de la sudation et des changements progressifs de température sont notamment vantés par le médecin Celse, par le naturaliste Pline l’Ancien et par l’érudit Suétone. Selon Pline l’Ancien, cette double thérapeutique aurait été imaginée vers 100 avant J.C. par Asclépiade, un médecin grec, et un épicurien hostile à l’hippocratisme. En fin de compte, il apparaît que l’hygiène romaine sait tirer avantage du classicisme, tout en manifestant son génie particulier. Pour s’assurer une telle autonomie, elle sait puiser dans sa propre expérience, et dans les sources hétérodoxes de la médecine hellénique.

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