La route préindustrielle en France : des réseaux au service de l’environnement urbain ?

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15 janvier 2021

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Jean Marcel Goger, « La route préindustrielle en France : des réseaux au service de l’environnement urbain ? », Presses universitaires de Perpignan, ID : 10.4000/books.pupvd.11548


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« En liaison avec le développement spectaculaire -idéalisé par Arthur Young- des routes royales, la périphérie des villes (du XVIIIe siècle français) est de plus en plus consacrée à des cultures maraîchères ou au vignoble, sur des terres possédées par la bourgeoisie locale... La période est aussi celle où des voix s’élèvent pour la mise en place d’un marché national, qui commence à s’esquisser par la suppression de certaines douanes intérieures, sous l’action de la monarchie et de certains Etats, comme ceux du Languedoc... La poussée des échanges correspondrait ainsi à la croissance que peu de spécialistes contestent entre les années 1750 et 1780 (Serge BIANCHI, Michel Biard et alii : La terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne, du début du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Colin, coll. « U », 1999, p. 166.) L’importance du marché urbain (comme le montre Gilbert LARGUIER pour le Narbonnais de 1771 à 1773) est en effet à l’origine de productions spécifiques localisées à la périphérie des villes, comme les maraîchages, ou la vigne, omniprésente. Se développe ici une véritable agriculture commerciale. Pour autant, il ne faut pas en généraliser l’existence. À partir de l’exemple des villes du Dauphiné, René FAVIER montre (en 1993) que « loin d’être des lieux de cultures spéculatives, les terroirs urbains étaient d’abord consacrés à la culture élémentaire et fondamentale des blés... » « Il faut sans doute se garder de considérer le monde rural (des XVIIe et XVIIIe siècles français) comme un secteur colonisé (par la stratégie des villes), car l’attraction urbaine diminue rapidement, même au niveau d’une capitale provinciale, dès lors que l’on s’enfonce de quelques vingt kilomètres dans la campagne, à l’exception des grandes structures d’ exploitation, toujours convoitées par les élites citadines » (Pierre-Yves BEAUREPAIRE et Charles GIRY-DELOISON : La terre et les paysans, France/ Grande-Bretagne, XVIIe/XVIIIe siècles, Paris, Atalande, 1999, pp. 274 et 275). Jean-Marcel GOGER se saisit de la contradiction qui sépare les deux précédentes citations pour proposer une réflexion sur les fonctions routières, entre 1650 et 1850. Pour Jean-Marcel GOGER, le traitement de la question pose une double problématique : premièrement, entre 1750 et 1789, l’agriculture française est-elle aspirée dans une spirale bienfaisante par l’extension du marché urbain ? Deuxièmement, les routes royales, dont les plus essentielles sont aussi des lignes de poste, constituent-elles les vecteurs privilégiés de cette dynamisation des campagnes par les villes ? Jean-Marcel GOGER a parcouru ce questionnement dans son mémoire de D.E.A. soutenu à l’E.H.E.S.S. de Paris en 1982. Intitulé « La politique routière en France au moment de la poussée révolutionnaire, 1789-1795 », ce travail consacrait ses parties 2 et 3 à « la libre circulation » et au « lien entre la libre-circulation et les routes » (J. M. GOGER, op. cit., pp. 14 à 59). Dans le livre 2 de sa thèse d’État sur « La politique routière en France de 1716 à 1815 », soutenue à l’E.H.E.S.S. de Paris en 1988, Jean-Marcel GOGER a en partie éclairci cet axe. Il a démontré que la route royale apportait aux campagnes quatre retombées marginales : premièrement, le développement du groupe des rouliers-paysans, facteur d’amélioration pour la traction animale, la fumure et les labours ; deuxièmement, la floraison de spécialisations agricoles ou artisanales, mais près des villes ou pour des produits très aisément transportables ; troisièmement, l’accélération des échanges régionaux, de foire à foire ; quatrièmement, l’activation plus fréquente des « bassins alimentaires de crise », dans un rayon de 200 à 300 kilomètres autour des grandes villes (J. M. GOGER, thèse d’État, livre 2, pp. 350 à 622). Pour autant, la route royale ne crée pas un marché constant et homogène. En 1775, Jacques Necker le constate lui-même dans son essai « Sur la législation et le commerce des grains » (réédition, Paris, Edires, 1986). Necker fait d’ailleurs peu allusion aux faiblesses routières, telles que l’inachèvement, la fragilité, les coûts dissuasifs pour les pondéreux -une facturation que seuls les profits de pénurie permettent de surmonter-. Necker se réfère à la législation alarmiste qui prévaut jusqu’en 1770, et qui soumet le commerce des grains à la déclaration nominative. A partir de là, Necker explique que le commerce des grains répugne aux grands négociants, tandis que son animation incontestable n’intéresse qu’une foule de petits blatiers régionaux. Attristé par ce bilan, Necker conclut : « mais de petits marchands ne peuvent faire qu’ un commerce de voisinage... Mais quand il faut transporter des grains du Nord au Midi de la France, les négociants seuls peuvent exercer ces sortes d’entreprises, parce qu’elles demandent des capitaux et de l’intelligence » (Jacques NECKER, op. cit., pp. 102, 103 et 187). Soucieux d’arbitrer le débat dans le sillage neckérien, Jean-Marcel GOGER propose ici une contribution qui évalue les destinées historiques de la route française, pour y effectuer une archéologie des fonctionnalités. Cet inventaire dégage quatre conclusions. Premièrement, le maillage gallo-romain forme la toile de fond du réseau français : or, il avantage la cadastration, les messageries, le portage vers la voie d’eau, et l’urbanisme enrobant autour des villes. Deuxièmement, la période médiévale remanie l’héritage romain, en l’orientant vers davantage de proximité, et en le tronçonnant par des fermetures accrues, comme la multiplication des péages ou le verrouillage des carrefours. Troisièmement, l’époque baroque poursuit cette clôture, les rues prolongeant de plus en plus mal les routes, et les grèves des voies d’eau attirant l’essentiel des transactions urbaines. Certes, le XVIIIe siècle français amorce un retournement vers la ville aérée, avec des pénétrantes ouvertes sur des radiales extérieures. Ce basculement suit avec retard la naissance de l’urbanisme en Italie. Toutefois, il s’exprime plus dans les projets des administrations et des salons que dans les rénovations concrètes. Au plan des réalisations, il génère surtout des embellissements de « tour de ville » et de « front d’eau », en façade d’agglomération. Riche en intentions novatrices, mais privée de ressources pécuniaires, la Révolution française ne change guère la donne : elle se contente d’orchestrer des simplifications juridiques dans le programme routier. Finalement, les deux buts complémentaires de l’art routier des Lumières ne sont approchés qu’au XIXe siècle, d’abord lorsque le conseiller Vatout – ami de Louis-Philippe- entreprend réellement de désenclaver les campagnes ; ensuite, lorsque les lois haussmaniennes autorisent enfin l’expropriation rapide de quartiers entiers, à l’intérieur des villes. Pour conclure, il convient d’en revenir à l’autorité des citations : « l’hypothèse d’un commerce général des grains (aux époques médiévales et modernes) a été formulé explicitement par des érudits aussi distingués que Messieurs POSTAN et Georges DUBY... Pourtant, la difficulté démontrable du transport par voie de terre ferait automatiquement d’un tel commerce un véritable exploit... L’historien, conscient de la force d’impact de la Révolution des transports au XIXe siècle, sait que, dans des situations pré-industrielles... le transport de grandes quantités par voie de terre, de denrées aussi volumineuses que les grains, s’est révélée ou d’une difficulté extravagante, ou d’un coût prohibitif » (Edward W. Fox, L’autre France. L’histoire en perspective géographique, Paris, Flammarion, 1973 ; cité par Alain CAILLE dans Splendeurs et misères des sciences sociales, Paris/ Genève, Droz, 1986, pp. 205 et 206). « Par un paradoxe apparent, la vieille ville (de Grenoble), où l’on a peu construit au XVIIIe siècle, et dont on dépeint depuis des décennies l’entassement extrême à l’intérieur du périmètre fortifié, cette vieille ville fait preuve de 1825 à 1841 d’un dynamisme certain... Elle accueille, dans cette période d’intense activité du bâtiment, la majeure partie des constructions nouvelles (cela grâce aux spéculateurs qui récupèrent les biens nationaux de la Révolution)... La « nouvelle ville » au sud offre un autre type de construction et d’autres formes de production du bâti... Pourtant, la mise en chantier est laborieuse... La lenteur des négociations avec l’armée à propos de la cession des terrains... contribue à freiner l’essor de la « nouvelle ville »… Il faut attendre 1854 pour que les terrains des anciennes fortifications, enfin arasées, soient lotis et mis en vente par la municipalité. » (Robert CHAGNY, « Notes sur le mouvement de la construction et la croissance urbaine à Grenoble au XIXe siècle, in Maurice GARDEN et Yves LEQUIN (dir.), Construire la ville, XVIIIe/XXe siècles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1983, pp. 43-44).

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