16 juin 2020
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Michel Imbert, « Cash, Cant and Confidence », Presses universitaires de Vincennes, ID : 10.4000/books.puv.8203
A partir de la question de la vraie et de la fausse monnaie, Le Grand Escroc (The Confidence-Man) développe toute une réflexion sur les vrais et les faux prophètes et sur l’absence d’une autorité absolue qui permettrait de départager le vrai du faux dans le domaine monétaire ou religieux. Au dernier chapitre, un vieil homme, en compagnie d’un voyageur cosmopolite, tente de s’assurer de la valeur de billets qui lui ont été remis en consultant le journal officiel de la monnaie, The Counterfeit Detector. Selon cette revue le billet, s’il est vrai, doit comporter en filigrane une oie. Le vieillard cherche en vain sur la coupure l’indice de son authenticité. Du reste, comment se fier à une gazette dont le titre équivoque suggère à rebours qu’elle pourrait être également un faux ? Ainsi, de renvoi en renvoi, aucun signe n’échappe au soupçon. Le gage de leur valeur se dérobe indéfiniment. De même, à quoi reconnaître un escroc lorsqu’il n’est plus possible de se fier au signes ? Qui peut se porter garant que Guinée Noire (Black Guinea) n’est pas un imposteur travesti en mendiant noir, un « faux jeton » dont le nom ne doit pas être pris pour argent comptant ? Même la description signalétique du Grand Escroc dans l’avis de recherche officiel ne paraît pas une source d’information autorisée. En dernière instance, à défaut de gage d’authenticité, force est de s’en remettre à la foi. D’où le fidéisme foncier des affaires. Les transactions et le commerce au sens large reposent sur le crédit, la créance et la croyance. Tous les personnages du Fidèle, qu’ils prêchent la confiance ou la méfiance, spéculent donc sur la foi. Ainsi la charité est-elle une source de devises pour ce personnage muet qui exhibe une ardoise sur laquelle il inscrit un à un les versets de l’Epître aux Corinthiens en ne conservant que le maître mot « Charité », préfigurant ainsi la série des abus de confiance à venir qui ont pour point commun d’exploiter cette valeur capitale. Mais comment distinguer les vrais philanthropes des faux-prophètes ? Le problème de la fausse monnaie s’est déplacé sur le plan religieux sans être pour autant dépassé. En dernier ressort, la Bible qui fait autorité dans le domaine de la foi s’avère être une référence aussi suspecte que la revue fiduciaire dans le domaine monétaire. La vieille Bible que le vieil homme et le voyageur cosmopolite consultent et dont l’aspect rappelle de vieux billets usés incorpore des textes apocryphes. La Bible transmet donc indissociablement la parole révélée et un faux. L’ambivalence des signes est telle que si la métaphore biblique est prise à la lettre, il n’est pas exclu que le Christ dont l’Amérique millénariste guette le retour à l’Ouest du Mississippi revienne comme un voleur, un premier avril, en plein carnaval païen, non seulement sous les traits d’une superbe crapule métaphysique comme le voyageur cosmopolite mais diffracté à travers toute la troupe exténuée des petits escrocs. Somme toute, la foi comme le Mississippi ne charrie que des valeurs troubles.