21 février 2024
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Pierre Guenancia, « Descartes : la nature, l’artifice, l’animal », Études de lettres, ID : 10.4000/edl.4061
A l’aube du XVIIe siècle commence la révolution scientifique, soit l’institution de la science moderne de la nature. Celle-ci a pour but de connaître les phénomènes naturels de manière claire et certaine, en se servant du langage mathématique. S’opposant à l’aristotélisme doctrinal enseigné dans les écoles, elle rejette les formes substantielles et n’admet que des lois mécaniques universelles – saisissables par les mathématiques – comme principe des mouvements des choses naturelles. Ces dernières n’ont dès lors ni de nature inhérente propre comme principe de leur déploiement finalisé (comme chez Aristote), ni d’âme ou esprit qui les animerait et guiderait dans leur déploiement (comme chez Platon et les Stoïciens). Elles ne sont plus qu’une matière homogène étendue dans l’espace, déterminées par des figures géométriques et obéissant à des lois mécaniques. Cette conception de la nature implique le changement du rapport entre théorie et pratique. Loin d’être purement spéculative comme l’aristotélisme scolaire, la science moderne – précisément du fait d’être d’abord mathématique – se trouve renvoyée (et confrontée) aux phénomènes empiriques pour mettre à l’épreuve, par l’expérimentation (et donc par toute une installation artificielle), ses hypothèses mathématiques. Elle y est renvoyée d’autant plus que seul l’« artifice », que nous fabriquons nous-même, est pour nous clairement connaissable. Ainsi la nature est-elle considérée finalement comme artifice divin, et l’homme se pose lui-même « comme maître et possesseur de la nature ». Par là, la nature change profondément de caractère. Loin d’être une « Déesse », elle n’est pour Descartes que la « Matière même » qui fonctionne comme une machine, d’après des lois mécaniques. La même mécanique régit les phénomènes les plus différents : planètes, terre, pierres, plantes, animaux… Certes, les animaux ne sont pas des pierres, pas plus qu’ils ne sont de simples artifices, mais la représentation des animaux comme « machines automates » nous libère des préjugés et permet d’acquérir à leur égard une connaissance méthodologiquement claire et certaine. Le propre corps de l’homme, à le considérer objectivement avec les yeux de la science, se présente d’ailleurs comme un simple « cadavre », sans que cela veuille dire que nous l’expérimentions comme tel.