Des modes d’existence du geste technique

Résumé Fr En

Le geste relève d’un agrégat de contraintes, capacités et potentialités qui formatent les capacités de l’opérateur. De même que l’objet ne devient outil que par la finalité intentionnelle de son usage, le geste ne devient technique qu’avec l’incorporation de la topique matière/action/pensée. Cette approche découle de la mise en place, avec le livre de Valentine Roux et Blandine Bril (Stone Kapping, 2005), d’un nouveau socle rigoureux d’analyse, utilisé dans des études pluridisciplinaires autour de l’anthropologie, et des études sur la cognition. Dans le domaine historique, transposer cette méthode implique de travailler dans la très longue durée, et de retravailler le rapport de l’historien des techniques à ses sources, qu’elles soient textuelles ou iconographiques. Analysant les nombreux décalages qu’induisent les différences d’intentionnalité et d’historicité propres aux sources, l’article fait apparaître les différents modes d’existence du geste technique. En effet, si les gestes eux-mêmes relèvent de la pratique, transmise oralement dans le cadre d’un milieu gestuel, l’intentionnalité qui préside à leur transcription (iconographie comprise) dépend d’un régime de pensée différent. Au XVIe siècle, avec la « réduction en art », il s’agit d’informer le lecteur par une lecture raisonnée, technicisée. Le XVIIIe siècle insère cette culture technique dans une science économique, qui conduira à l’organisation scientifique du travail. Dans l’Europe du XVIIIe siècle émerge cependant, à côté, un autre régime de pensée, technologique, avec notamment Christian Wolff et Denis Diderot. Il s’agit cette fois-ci de ne pas opposer théorie et pratique, mais d’analyser la pratique gestuelle et d’en tirer la théorie qu’il contient, d’en extraire les principes en vue d’en améliorer l’efficacité. L’actuelle conception assistée par ordinateur qui permet au technicien de construire le geste avec une machine qui s’adapte de façon à reproduire le milieu gestuel et à l’améliorer, en est l’aboutissement contemporain. Au risque d’appauvrir la pratique et d’en fragiliser la transmission ? (résumé rédigé par la rédaction)

The gesture concerns an aggregate of constraints, capacities and potentialities which format the capacities of the operator. Just as the object becomes tool only by the intentional purpose of its use, the gesture becomes technical only by incorporating the combination of matter/action/thought. This approach rises from the installation, after the book of Valentine Roux and Blandine Bril (Stone Kapping, 2005), of a new rigorous base of analysis, used in multi-field studies including anthropology and the studies on cognition. In the historical field, transposing this method implies to work in the very long-term, and to rework the methodology of the historian of the techniques regarding their sources, which are textual or iconographic. Analyzing the numerous gaps induced by the differences of intentionality and historicity specific to sources, the article reveals the various modes of existence of the technical gesture.Indeed, if the gestures themselves concern the practical mode of operating thinking, transmitted orally within the framework of a gestural environment, the intentionality which governs the drafting of the written sources (iconography included) depends on a different mode of thinking. During the 16th century, with the “reduction in art”, it is a question of providing information to the reader by a reasoned and technicized writing. The 18th century adds to this technical culture, its insertion in an economic scene, which will lead to the scientific management. Besides, in Europe of the 18th century emerges however another mode of thinking: the technological one, with in particular Christian Wolff and Denis Diderot. This time, it is not about opposing practical and theoretical, but about analyzing the gesture and developing theory from it, to extract its principles in order to improve its effectiveness. The current computer-assisted design, by making it possible to the technician to build and improve its gesture with a machine which adapts in order to reproduce the gestural environment, is a perfect contemporary incarnation. With the risk to impoverish the practice and to weaken the transmission? (abstract written by the journal).