22 mars 2021
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Vanessa Voisin, « The 1963 Krasnodar Trial », Cahiers du monde russe, ID : 10.4000/monderusse.12031
Dans la ville de Krasnodar, capitale du Kuban´ russe, se déroula du 10 au 24 octobre 1963 un procès public très particulier. Ses neuf accusés incarnaient les plus sombres aspects de la Seconde Guerre mondiale en URSS. Membres auxiliaires et gradés du Sonderkommando 10a, ils avaient pris part aux violences extrêmes commises par cette sous-unité de l’Einsatzgruppe D, chargé du « nettoyage » du sud de l’Ukraine et de la Russie dans le sillage de la Wehrmacht. L’écho qui fut donné à ce procès le distingue clairement des dizaines d’autres procès tenus à travers l’Union soviétique après l’amnistie partielle des collaborateurs en 1955, et des procès tenus dans le sud de la RSFSR plus spécifiquement. De multiples articles, dans la presse locale et centrale, une rediffusion radiophonique, un film documentaire (Au Nom des vivants), un livre à grand succès (L’Abîme), ainsi , enfin, qu’un projet de film de fiction avorté superposèrent des strates de récits, de sons et d’images portant sur l’histoire de ces neufs hommes, de leurs victimes et des enquêteurs qui les amenèrent devant la justice. Les variations de retransmission de l’histoire en fonction des divers médiums utilisés constituent l’un des fils rouges du présent texte, qui s’intéresse par ailleurs à la façon dont ces œuvres contribuèrent à étirer l’écho du procès de Krasnodar dans le temps. L’exemple de la médiatisation du procès de Krasnodar va à l’encontre de plusieurs idées reçues sur les rapports entre professionnels de l’art et professionnels de police ou de justice. Il confirme la marge de liberté dont ont pu parfois bénéficier les artistes sous le dégel, mais aussi quelques années au-delà. Il illustre diverses modalités de filmage d’un procès (1963 et 1965) et plus encore la riche variété des retransmissions possibles de l’acte judiciaire, de la rediffusion simultanée dans l’espace urbain à la nouvelle très littéraire d’un auteur engagé. Ce cas montre aussi comment un même artiste a retransmis sa vision du procès selon qu’il agissait en tant que journaliste, scénariste ou écrivain. L’étude confirme l’importance des ressources politiques dont disposaient les divers acteurs de cette histoire en ce qui concerne les limites du dicible et du montrable dans les années 1963-1967. Le rôle crucial d’un artiste très engagé, Ginzburg, eut ainsi raison d’un certain nombre de résistances institutionnelles et idéologiques jusqu’à ce que l’écrivain finisse par payer le prix de son engagement. La représentation extrêmement audacieuse de la collaboration durant la guerre et celle – tout-à-fait atypique – de l’idéologie nazie et de la Shoah font la singularité des œuvres de Ginzburg, tout privilégié qu’il fut dans les milieux littéraires. Il convient enfin de souligner que l’intensité de la couverture médiatique de ce procès, le rôle particulier de Ginzburg dans les relations germano-soviétiques et, enfin, les démarches confidentielles menées en parallèle par le Procureur général de l’URSS contribuèrent sans nul doute à la (ré)ouverture d’instructions à l’Ouest contre les criminels allemands mis en cause durant le procès, et jugés en RFA entre 1972 et 1980.