Réparer le canal. Contribution des archives sédimentaires de comblement du canal de Sarazm à l’approche sociotechnique de la gestion de l’eau à l’âge du Bronze en Asie centrale (Tadjikistan, 3e millénaire avant notre ère)

Résumé 0

Le renouvellement des études sur l’eau à l’œuvre depuis le dernier quart du xxe siècle constitue une nécessaire contrepartie à une tradition d’étude de l’hydraulique ancienne dans une perspective d’histoire des techniques centrée sur les déterminants socio-politiques et environnementaux de l’irrigation. Une lecture globalisante renforcée par le postulat du rôle de la grande irrigation dans l’émergence d’un pouvoir centralisateur s’incarnant dans l’État despotique (Wittfogel, 1957), moteur de la complexification socio-culturelle des sociétés d’Orient. En Asie centrale, l’archéologie soviétique a érigé les vestiges matériels de l’irrigation en signifiants de l’histoire économique et sociale sous l’influence du matérialisme historique. Dans sa contribution à une histoire des modes de production empreinte d’évolutionnisme social (Francfort et Lecomte, 2002), elle privilégia la technicité globale des réseaux et la quantification des forces productives aux pratiques techniques de gestion de l’eau. L’approche géoarchéologique mise en œuvre à Sarazm (4e-3e millénaire avant notre ère) vise à documenter l’histoire de ses canaux et les interactions socio-environnementales qui ont interféré dans leur fonctionnement. Elle s’appuie sur l’étude de leur matérialité à toutes les échelles, depuis leur trace dans le paysage fluvial jusqu’à leurs dépôts de comblement. L’étude micromorphologique de ces archives sédimentaires est spécifiquement mobilisée pour appréhender le volet sociotechnique de la gestion de l’eau d’irrigation déployé pour la mise en eau, le fonctionnement et la maintenance du plus ancien canal daté de 2500 ans av. n. è. Les caractéristiques techniques du système d’irrigation et le mode de gestion de l’eau au début de l’âge du Bronze mettent en évidence la perception qu’avaient les irrigants de Sarazm des contraintes topographiques, hydro-climatiques et sismiques impactant la disponibilité de l’eau et sa dérivation ainsi que les pratiques techniques, outillées ou non, qui avaient permis de les dépasser.