15 décembre 2021
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Montin Sandrine, « Gunfactory et L’Herbe de l’oubli entre documents et témoignages », Pratiques, ID : 10.4000/pratiques.11260
Le travail de la compagnie belge Point Zéro et du metteur en scène J.-M. d’Hoop, dans les spectacles Gunfactory (2016) et L’Herbe de l’oubli (2019), donne à voir une réalité cachée, masquée, invisible, ou déréalisée : l’impact de la production et de l’export d’armes européennes, et l’effet de la radioactivité nucléaire après la catastrophe de Tchernobyl. Comment documenter un réel invisible sur un plateau de théâtre ? Dans cet article, nous analysons les phénomènes de déni, d’autocensure, d’interruption qui rendent compte de la gêne des locuteurs et de la difficulté à saisir des réalités cachées, déniées, devenues quasi irréelles. En prenant appui sur un entretien avec le metteur en scène et une analyse des spectacles, nous décrivons le processus d’enquête préparatoire à l’écriture des spectacles : la collecte des données scientifiques, des témoignages ensuite reconstruits sur scène, des documents vidéo. Enfin nous explorons la dimension politique de l’esthétique à l’œuvre : la gêne des locuteurs réfléchit nos propres difficultés à négocier entre nos identifications ou affiliations et nos valeurs ; les mots des habitants, travailleurs, médecins faisant face aux discours et politiques officiels rendent manifeste le fait que « l’enquête est l’autre nom de la vie » comme l’affirme le philosophe B. Morizot, et que la réduction du savoir légitime à l’activité de quelques-uns relève d’une grande violence ; la scénographie et le recours aux marionnettes, en particulier dans L’Herbe de l’oubli, rendent visible la présence des morts, la fragilité de la vie, et légitiment nos aspirations à la paix, à la préservation de la vie et des ressources. Tout ceci rend possible pour le public ce que J. Rancière appelle une « désincorporation » et facilite un questionnement presque frontal sur sa propre souveraineté.