Penser le Cthulhucène et son géotraumatisme : le cas Cyclonopedia de Reza Negarestani

Résumé Fr En

Dans Cyclonopedia : Complicity with Anonymous Materials (2008) du philosophe iranien Reza Negarestani, des concepts de Gilles Deleuze et Félix Guattari croisent les divinités cosmiques imaginées par H. P. Lovecraft, d’occultes reliques zoroastriennes expliquent l’imaginaire de science-fiction horrifique de John Carpenter, et ce, pour y développer une hypothèse des plus extravagantes : le pétrole, « entité tellurique » emprisonnée dans les profondes couches et formations géologiques, a longuement attendu pour se libérer des profondeurs de la terre et se répandre dans l’atmosphère. L’œuvre de Negarestani présente le pétrole comme le réel sujet de l’histoire, l’humanité y figurant donc comme son hôte, la révolution industrielle comme son point de non-retour. L’allure ésotérique et la sophistication de l’argumentaire, sur fond de théories du complot, entraînent le lecteur dans un délire paranoïaque marqué par une conspiration fomentée à une échelle quasi-cosmique : la combustion du pétrole, considérée comme une étape fondamentale de son propre « agenda satanique », constitue le moment-clef à partir duquel il pourra se répandre dans l’atmosphère. Le capitalisme étendu à une échelle mondiale figure alors comme la solution la plus adéquate à une combustion ininterrompue des énergies fossiles. Dans cet article, nous aimerions réfléchir aux apports de l’œuvre de Negarestani dans le domaine des fictions climatiques. Nous commencerons par présenter sa dimension géophilosophique avant de revenir plus en détail sur son imaginaire qui délire un monde sous l’emprise d’une entité maléfique. Nous montrerons par la suite en quoi Cyclonopedia se présente comme fiction climatique spéculative qui adopte une perspective néomatérialiste inspirée de la démarche du réalisme spéculatif.

In Iranian philosopher Reza Negarestani’s Cyclonopedia: Complicity with Anonymous Materials (2008), concepts by Gilles Deleuze and Félix Guattari intersect with the cosmic deities imagined by H.P. Lovecraft, occult Zoroastrian relics explain John Carpenter’s horrific science fiction imagination, and develop a most extravagant hypothesis: oil, a “tellurian entity” imprisoned in the deep layers and formations of the earth, has been waiting for a long time to be released from the depths of the earth and to spread into the atmosphere. Negarestani’s work presents oil as the real subject of history, humanity as its host, the industrial revolution as its point of no return. The esoteric allure and sophistication of the argument, set against a backdrop of conspiracy theories, draws the reader into a paranoid delusion marked by a conspiracy fomented on a quasi-cosmic scale: the burning of oil, seen as a fundamental step in its own “satanic agenda”, is the key moment from which it can spread into the atmosphere. Capitalism extended to a global scale is then seen as the most adequate solution to the uninterrupted burning of fossil fuels. In this article, we would like to reflect on the contributions of Negarestani’s work to the field of climate fictions. We will begin by presenting his geophilosophical dimension before returning in more detail to his imaginary world under the influence of an evil entity. We will then show how Cyclonopedia presents itself as a speculative climate fiction that adopts a neo-materialist perspective inspired by the approach of speculative realism.