26 février 2023
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Catherine Ann Winters, « From Multivalent Writing to a Poetics of the Book: A Media-Specific Analysis of Mary Ruefle’s A Little White Shadow », Sillages critiques, ID : 10.4000/sillagescritiques.13864
Dans A Little White Shadow (2006), Mary Ruefle joue avec les caractéristiques communément attribuées au livre imprimé (stabilité, continuité et autorité), invitant son lecteur à voir dans le recueil bien plus qu’un simple réceptacle pour la poésie. Cette œuvre d’effacement est un facsimilé tronqué qui reproduit les marques du blanc-correcteur dont Ruefle s’est servie pour recouvrir le texte d’un court roman d’Emily Malbone Morgan, paru en 1889, sous le titre A Little White Shadow. En faisant de la matérialité même du livre un élément central du poème, Ruefle entend dépasser l’idée d’un recueil qui ne serait qu’un objet ou un dispositif éditorial destiné à présenter de la poésie. Elle procède en effaçant physiquement un livre déjà historiquement « effacé », c’est-à-dire oublié par la critique et quasiment introuvable au moment de la publication de son poème, et dont les thèmes sont l’écriture, la lecture et la littérature. Cette technique s’inscrit dans la pratique artistique du livre d’artiste tel que le définit Johanna Drucker, au sens d’un projet qui interroge la forme et le sens du médium et pose la question de ce qu’est un livre. C’est en mettant à son tour en relation forme et contenu que Ruefle développe sa propre poétique du livre. En somme, elle réfute l’idée selon laquelle le livre de poésie serait mort tout en reconnaissant que le codex (en tant que format entendu, sans conséquence sur le sens du poème) vit probablement ses dernières heures. En venant greffer, à même son poème d’effacement, nos attentes et préjugés à l’égard du médium-livre, Ruefle fait au contraire du livre de poésie, jadis considéré comme le format par défaut, une forme à part entière dans son projet d’écriture.