La Machine

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8 février 2022

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Valentina VAPNARSKY et al., « La Machine », Terrain, ID : 10.4000/terrain.21833


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Le comble, pour une organisation, c’est d’arriver au stade où elle devient incompréhensible pour ses propres membres. Elle a atteint un tel degré d’empilement de ses structures, de multiplication de ses organes, qu’elle devient insaisissable, elle pose un problème de préhension. Elle ne peut plus être embrassée, synthétisée par un cerveau humain. Seule une autre structure à l’échelle aussi extraordinaire que la sienne peut sans doute la comprendre, mais un humain seul ne peut rien. On aurait pu multiplier les comptes rendus de l’intérieur, se faire ethnographe de ce genre de situations d’incompréhension. Elles sont le lot de tous ceux qui, un jour ou l’autre, voient leur activité se « technocratiser », ou qui doivent se familiariser avec une administration nouvelle ou en constant renouvellement, tout comme de ceux qui occupent des positions administratives et voient les rouages du dessus, d’en dessous ou d’à côté comme autant de parties d’un monde étranger. À chaque fois que nous sommes aux prises avec une administration quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de recherche, d’hôpitaux, d’agriculture, de finance, ce sont les mêmes récits kafkaïens qui sont racontés. Ces récits pourraient être ennuyeux, ils sont au contraire pleins d’émotion, de colère, de frustration, d’incompréhension et même d’étrangeté. Le récit livré à Valentina Vapnarsky en novembre 2020 par Constance Delaugerre, virologue, cheffe de service à l’hôpital Saint-Louis à Paris, est éloquent à ce propos. En attente d’une machine automate pour faire des sérologies qui ne vient pas, en pleine crise du coronavirus, elle découvre l’étrangeté de sa propre administration, ses rouages, son univers de sigles. Dans un moment presque lovecraftien, elle décrit un « siège » avec « des bras armés », et l’un de ses bras armés, « l’Ageps », « l’agence qui s’occupe en détail des réactifs des automates ». Elle décrit des mouvements qui ne se font pas : « Ça monte au Siège et cela ne redescend jamais. » Elle décrit aussi des excroissances, des modules, des cellules dans ce qui ressemble à une matrice monstrueuse, les hôpitaux de Paris : « Au Siège, il y a la cellule innovation qui a un visage. » Et sa stupeur, face à cette étrangeté dont elle n’arrive jamais à saisir les contours, les règles, tient en une question : « Quel est le maillon de cette chaîne, et combien y a-t-il de maillons ? » Le comble est qu’elle garde espoir en la machine, elle a un désir de machine, elle l’attend comme celle qui lui facilitera la vie, mais cette machine ne vient jamais. Au bout d’un certain stade d’involution, y compris ceux qui veulent être efficaces ne peuvent plus l’être. Pendant l’entretien, Marine Bikard a dessiné en temps réel, laissant l’écoute affecter son geste, son pinceau dériver et ses courbes s’imprégner des paroles de leur interlocutrice. Ce n’est pas un labyrinthe qui émerge de ce geste de peinture quasi divinatoire, il n’y a pas de sol ici pour soutenir un corps, seules des effluves, une opacité généralisée, l’impression d’une structure « hors sol » et une parole en suspens dans l’air. Bureaucratie céleste ? Chapô : EMMANUEL GRIMAUD & ANTHONY STAVRIANAKIS

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