Alignement, affiliation et trajectoire interactionnelle dans la conversation

Fiche du document

Date

27 janvier 2023

Discipline
Type de document
Périmètre
Langue
Identifiant
Relations

Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/2264-7082

Organisation

OpenEdition

Licences

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ , info:eu-repo/semantics/openAccess




Citer ce document

Béatrice Priego-Valverde et al., « Alignement, affiliation et trajectoire interactionnelle dans la conversation », TIPA. Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage, ID : 10.4000/tipa.4819


Métriques


Partage / Export

Résumé Fr En

Le déploiement dynamique de l’interaction a été étudié principalement sous l’angle de la collaboration et/ou de la convergence. Tant en linguistique qu’en psycholinguistique, les auteurs ont surtout cherché à montrer qu’en raison d’une forte prédictibilité (psycholinguistique) ou projection/projectabilité (Analyse Conversationnelle, Linguistique Interactionnelle) des énoncés, réalisée notamment sur le plan langagier grâce à des indices de projection permettant d’anticiper ce qui va se produire, la conversation est une action/activité conjointe dans laquelle la recherche de convergence (alignement) s’avère centrale. Cette recherche de convergence se traduirait par une collaboration quasi incessante tout au cours de l’interaction. Différents phénomènes (items de feedbacks, énoncés collaboratifs, parmi d’autres) tendent à conforter cette conception selon laquelle la conversation serait d’abord collaboration et manifestation explicite de cette collaboration à son partenaire. Les partenaires n’auraient donc de cesse de s’aligner pour aboutir à une compréhension mutuelle optimale. S’il est vrai que la collaboration des participants facilite grandement la conversation, voire que la conversation serait « si facile » parce que l’on s’aligne en permanence, et ce par des processus les plus automatiques possibles (Garrod & Pickering, 2004), cette vision collaborative de la conversation nécessite pourtant d’être nuancée. En effet, l’analyse de divers extraits de corpus conversationnels montre que cette notion de collaboration ne permet pas de rendre compte de la richesse que recèle la conversation et qui est liée à son dynamisme intrinsèque. On peut ainsi parfois observer une simple collaboration de « surface », voire une absence de collaboration. Ainsi, alors qu’une interaction fait appel à un large répertoire de pratiques (répétition, complétion d’énoncé, transition thématique, feedback, humour, etc.), nous souhaitons montrer que la collaboration des participants ne forme que l’une des façons possibles d’exploiter ce large répertoire, et qu’elle coexiste avec d’autres formes, moins collaboratives, voire non-collaboratives, sur lesquelles cet article sera centré. A travers l’étude des énoncés non attendus (non prédictibles), caractérisés comme désalignés et/ou désaffiliés dans certains de nos travaux (Bertrand & Priego-Valverde, 2017, Priego-Valverde, 2021), nous souhaitons mettre l’accent sur l’impact qu’ils peuvent avoir sur la dynamique interactionnelle. Ainsi, certains de ces énoncés peuvent être simplement refusés ou ignorés parce que leur prise en compte entraînerait un changement de la trajectoire interactionnelle initiée par l’un des participants. En revanche, d’autres énoncés, bien qu’inattendus, peuvent être acceptés et intégrés à la conversation en cours. Il est donc crucial de mettre à jour les contraintes auxquelles les participants doivent se plier (« ce qu’il faut faire ») tour par tour pour permettre la poursuite « réussie » de l’interaction. Nous souhaitons donc montrer également que les conversations ne sont pas nécessairement vouées à l’échec si la collaboration au sens strict n’est pas totale. Ainsi, ces énoncés inattendus seraient l’occasion d’introduire de nouveaux possibles, nous permettant de penser que la conversation serait faite à la fois de ces formes/patterns déjà présents (codifiés) mais aussi de nouveaux ‘possibles’ émergents, dans la lignée des travaux de la Grammaire en Interaction (Ochs et al., 1996 ; Auer, 2005). Nous nous proposons de « traquer » l’émergence de ces ‘nouveaux possibles’ : quand apparaissent-ils ? Quelle est leur nature ? Quelles en sont les conséquences pour l’interaction en cours ? A ce titre, nous analysons cinq extraits de corpus conversationnels par le prisme des trajectoires interactionnelles que les participants empruntent. Ainsi, le premier exemple que nous analyserons illustre parfaitement cette notion d’activité collaborative admise dans de nombreux travaux sur le dialogue et les interactions interindividuelles (Sacks et al., 1974 ; Clark, 1996, Sidnell & Stivers, 2013 ; Couper-Kuhlen & Selting, 2018) pour qualifier la conversation. Si nous ne contestons pas cette notion de collaboration inhérente aux interactions, nous avons pour objectif de montrer que sous cette notion relativement consensuelle « se cachent » des pratiques et des procédés divers, qui en font finalement une notion relativement floue. A l’appui des autres exemples, nous montrerons dans cet article que des concepts tels que la progressivité des discours, les trajectoires interactionnelles, l’alignement ou l’affiliation, permettent de mieux appréhender ce que nous considérons comme un accomplissement interactionnel réussi, lequel passe par différents moments au cours desquels les participants peuvent être plus ou moins collaboratifs. L’analyse détaillée de ces différents exemples nous permettra d’une part de montrer que le dynamisme des interactions se révèle une porte d’entrée cruciale pour en révéler leur fonctionnement dans toute sa complexité. D’autre part, il nous incite à réfléchir aux paradigmes utilisables pour étudier l’impact de ces formes inattendues sur les trajectoires conversationnelles dans un cadre expérimental.

The dynamic deployment of talk-in-interaction has been studied mainly from the perspective of collaboration and/or convergence. In both linguistics and psycholinguistics, the authors have mainly tried to show that due to a strong predictability (psycholinguistics) or projection/projectability (Conversational Analysis, Interactional Linguistics) of the utterances, achieved in particular on the linguistic level thanks to projection cues allowing to anticipate what is going to happen, the conversation is a joint activity in which the search for convergence (alignment) proves to be central. This search for convergence would result in an almost continuous collaboration during the interaction. Various phenomena (feedback items, collaborative statements, among others) tend to support this conception according to which the conversation is first and foremost collaboration and the explicit manifestation of this collaboration to his/her partner. The partners would therefore constantly be aligning themselves in order to achieve an optimal mutual understanding. While it is true that the collaboration of participants greatly facilitates conversation, or even that conversation is 'so easy' because we are constantly aligning onto each other, through the most automatic processes possible (Garrod & Pickering, 2004), this collaborative vision of conversation needs to be nuanced. Indeed, the analysis of various excerpts from conversational corpora shows that this notion of collaboration does not make it possible to account for the richness of the conversation, which is linked to its intrinsic dynamism. Thus, we can sometimes observe a superficial collaboration or even an absence of collaboration. Thus, while an interaction calls upon a large repertoire of practices (repetition, statement completion, thematic transition, feedback, humor, etc.), we wish to show that the collaboration of the participants is only one of the possible ways of exploiting this large repertoire, and that it coexists with other, less collaborative, or even non-collaborative forms, on which this article will focus. Through the study of non-expected (non-predictable) utterances, characterized as disaligned and/or disaffiliated in some of our work (Bertrand & Priego-Valverde, 2017, Priego-Valverde, 2021), we wish to emphasize the impact they can have on interactional dynamics. Thus, some of these utterances may simply be refused or ignored because taking them into account would lead to a change in the interactional trajectory initiated by one of the participants. On the other hand, other utterances, although unexpected, may be accepted and integrated into the ongoing conversation. It is therefore crucial to uncover the constraints to which the participants must adhere (“what to do”) turn by turn to allow the “successful” continuation of the interaction. We therefore also wish to show that conversations are not necessarily doomed to failure if collaboration in the strict sense is not total. Thus, these unexpected utterances would be the occasion to introduce new possibilities, allowing us to think that conversation would be made of both these already present (codified) forms/patterns and new emerging 'possibilities', in line with the work of Grammar in Interaction (Ochs et al., 1996; Auer, 2005).We propose to 'track' the emergence of these 'new possibilities': when do they appear? What is their nature? What are the consequences for the interaction in progress? To this end, we analyze five extracts from conversational corpora through the prism of the interactional trajectories that the participants take. Thus, the first example we will analyze perfectly illustrates this notion of collaborative activity accepted in many works on dialogue and inter-individual interactions (Sacks et al., 1974; Clark, 1996, Sidnell & Stivers, 2013; Couper-Kuhlen & Selting, 2018) to qualify the conversation. While we do not contest this notion of collaboration which is inherent to interactions, we aim to show that underneath this relatively consensual notion, 'lurk' diverse practices and processes, which ultimately make it a relatively fuzzy notion. In support of the other examples, we will show in this article that concepts such as progressivity, interactional trajectories, alignment or affiliation, allow us to better understand what we consider as a successful interactional achievement, which goes through different moments during which the participants can be more or less collaborative. The detailed analysis of these different examples will allow us to show that the dynamism of interactions is a crucial entry point for revealing their functioning in all its complexity. Furthermore, it encourages us to reflect on the paradigms that can be used to study the impact of these unexpected forms on conversational trajectories in an experimental framework.

document thumbnail

Par les mêmes auteurs

Sur les mêmes sujets

Sur les mêmes disciplines

Exporter en