2001
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Relations industrielles ; vol. 56 no. 4 (2001)
Tous droits réservés © Département des relations industrielles de l’Université Laval, 2001
John Lund et al., « State Regulation and the New Taylorism : The Case of Australian Grocery Warehousing », Relations industrielles / Industrial Relations, ID : 10.7202/000105ar
Les études traitant des nouvelles technologies sur les lieux de travail et des pratiques managériales en contexte de mondialisation ne tiennent pas toujours compte des différences nationales en matière de législation du travail. Pourtant, il existe une littérature abondante mettant en lumière l’importance des différents systèmes nationaux de législation du travail et du rôle de l’État dans la réglementation du travail. Il existe, par exemple, en Australie, un système d’arbitrage obligatoire, dont la Commission a rendu des décisions réglementant les conditions de travail de toute une industrie. Cet article analyse la possibilité pour des systèmes de réglementation étatique de défier les tendances convergentes des nouvelles technologies sur les lieux de travail. Pour ce faire, nous étudions un cas d’intervention du gouvernement suite à l’introduction d’un système américain informatisé de contrôle du travail au sein de l’industrie australienne d’entreposage des aliments.Des consultants américains ont élaboré des systèmes de normes de contrôle de travail mises au point par des ingénieurs à la fin des années 1970 et 1980 et ces systèmes se sont répandus dans les chaînes de supermarchés à travers le monde. Au début de la décennie suivante, les détaillants en Australie ont décidé d’implanter ces systèmes de contrôle du travail au sein de leurs activités dans les entrepôts. Dans la majorité des États australiens, les syndicats représentant les travailleurs de l’alimentation ont fait montre de peu de résistance face à cette nouvelle technologie. Cependant, une position beaucoup plus militante et conflictuelle fut adoptée dans la province la plus vaste du pays, le New South Wales (NSW), où la National Union of Workers contra les essais de diffusion de ces systèmes de normes. À la suite de violentes manifestations aux entrepôts d’alimentation les plus importants, le gouvernement du NSW mit sur pied, vers la fin de 1994, une enquête spéciale conduite par la Commission industrielle du NSW.La Commission d’enquête a alors recommandé la participation du syndicat et des travailleurs sur les façons d’appliquer le système de normes conçu par les ingénieurs. Cette approche se distinguait de façon significative de l’utilisation unilatérale de la technologie par les employeurs dans les autres juridictions. Le mandat de l’enquête donnait aussi à la Commission le pouvoir de restreindre l’introduction de cette nouvelle technologie. Cependant, après deux ans d’audition et de délibérations, elle s’est abstenue d’intervenir et, au lieu, elle a recommandé aux employeurs et au syndicat de s’engager dans une consultation plus vaste sur l’introduction et la mise en oeuvre de la technologie.De plus, au cours des années qui ont suivi cette enquête, une série de décisions arbitrales vinrent signaler que le rôle de l’État se modifiait en adoptant une position plus accommodante envers les employeurs. Parmi ces décisions, une sentence arbitrale confirmait le droit d’un employeur d’associer la non-atteinte des normes de performance à une intervention disciplinaire de sa part. Une deuxième décision accordait à un syndicat rival, non opposé aux nouvelles normes, l’accréditation chez un sous-traitant. Enfin, une troisième décision maintenait le droit de l’employeur de discipliner et même de congédier les travailleurs qui ne réussissaient pas à respecter les standards imposés par le système de gestion.En outre, l’Administration de la santé et de la sécurité au travail du New South Wales, qui était chargée de faire respecter les recommandations de la Commission d’enquête dans ce domaine, a aussi échoué dans son intervention. Suite à une longue période d’inactivité, l’Administration émit des sanctions contre un des employeurs mais décida par la suite de ne pas entreprendre de procédures judiciaires. L’État modifia donc sa position et en vint à approuver l’usage de la nouvelle technologie, surveillant l’entrée de syndicats rivaux dans le secteur et disciplinant le militantisme syndical.Comment expliquer ces interventions apparemment contradictoires des acteurs étatiques ? Sur ce point, nous suggérons plusieurs raisons ayant pu conduire à la réglementation étatique en définitive plutôt timide eu égard à ces normes conçues par des ingénieurs. Premièrement, l’objectif de l’arbitrage en contexte australien est le règlement des conflits du travail et non la protection des intérêts des travailleurs. Ainsi, bien que chargée d’enquêter sur les implications du système de normes sur un éventail de critères, la Commission a pour but premier d’assurer la paix industrielle plutôt que d’adopter une position d’arbitre face aux mérites ou aux désavantages de la technologie. Deuxièmement, en dépit d’une concurrence féroce à l’intérieur même de l’industrie de l’entreposage, les principaux employeurs présentèrent un front uni dans leur désir d’introduire les nouvelles normes et ils possédaient des arguments convaincants au sujet de la rentabilité qui découlerait de cette nouvelle technologie. Troisièmement, et c’est peut-être là la raison la plus importante, les décisions ultérieures de la Commission dans ce secteur révélèrent une disposition marquée à l’endroit des mérites d’une efficacité et d’une productivité améliorées comme étant les principaux objectifs d’une réglementation des relations du travail. La promotion d’une plus grande productivité est devenue l’objectif central d’une réforme des relations du travail en Australie au cours des deux dernières décennies, à un point tel qu’il a dominé la réflexion du gouvernement et des tribunaux d’arbitrage en négligeant des préoccupations aussi traditionnelles que la justice distributive, pour citer un exemple. Dans un tel contexte, l’imposition de limites importantes aux employeurs face à l’utilisation de technologies particulières devint problématique.Finalement, ce cas fournit un support aux théoriciens qui ont signalé le rôle ambivalent et contradictoire du législateur en matière de réglementation du travail. De plus, dans une ère de réforme économique néolibérale, la diffusion mondiale et accélérée des nouvelles technologies sur les lieux de travail est peut être moins gênée par des différences nationales en matière de réglementation du travail qu’on l’avait couramment pensé au départ.