Du culte des héros à la concurrence des victimes

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2000

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Criminologie

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Criminologie ; vol. 33 no. 1 (2000)

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Jean-Michel Chaumont, « Du culte des héros à la concurrence des victimes », Criminologie, ID : 10.7202/004712ar


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Dans un premier temps, l'auteur résume l'histoire d'une attente de reconnaissance frustrée dans l'immédiat après-guerre : celle des survivants de la Shoah. Ceux-ci subirent en effet un processus de victimisation secondaire analogue à ceux que l'on observe auprès d'autres catégories de victimes, telles les victimes de viol. Non seulement leur expérience spécifique, en tant que Juifs, fut occultée mais ils furent en outre doublement stigmatisés pour leurs réactions face à l'entreprise criminelle des nazis : d'une part, les Juifs assassinés se seraient laissé conduire à la mort « comme des moutons à l'abattoir »; d'autre part, les survivants auraient adopté des comportements indignes pour survivre. Alors que les déportés résistants recueillaient tous les lauriers de la gloire, les survivants juifs furent confinés dans la honte. Leurs légitimes attentes de reconnaissance restèrent ainsi longtemps insatisfaites. Ils n'eurent pas droit aux statuts honorifiques et, bien souvent, ne furent même pas mentionnés explicitement sur les monuments commémoratifs aux victimes du Troisième Reich. Il en résulta des traumatismes durables dont les conséquences se sont manifestées ultérieurement.Pendant près de vingt ans en effet, cette situation perdura sans susciter beaucoup de protestations. Au milieu des années 1960 cependant, une réaction s'amorça et une entreprise de réhabilitation, voire de glorification, des victimes fut menée avec succès. Le stigmate fut effacé, souvent même inversé : être un survivant de la Shoah est devenu un titre prestigieux. Le moyen détourné de cette revalorisation spectaculaire a été la revendication polémique de la singularité absolue de la Shoah : son unique uniqueness.Cette manière indirecte de mener une authentique lutte pour la reconnaissance a néanmoins engendré des effets pervers notables à de multiples points de vue. L'auteur évoque plus particulièrement celui de « la concurrence des victimes ». À partir du moment où un groupe prétend que sa victimisation est sans aucune commune mesure avec d'autres persécutions, il est prévisible que d'autres victimes du nazisme ou d'autres tragédies historiques s'insurgent et soutiennent le contraire. D'où, depuis un quart de siècle, l'émergence de débats sordides et interminables sur la comparabilité des crimes et des souffrances. Les oppositions se déplacent et les victimes luttent entre elles plutôt que de faire front commun. La réhabilitation morale des morts et des survivants se dégrade alors en une lutte pour la distinction sociale attisée par un contexte général où le statut de victime est devenu un passe-droit enviable.En conclusion, l'auteur s'interroge précisément sur les raisons et les causes qui ont conduit à cette valorisation remarquable du statut de victime au cours des dernières décennies. Tant les victimes de faits divers que les victimes de tragédies historiques en profitent. Un changement socioculturel majeur s'est ainsi produit dont il reste à élucider la dynamique. L'émergence de la victimologie comme discipline autonome en constitue probablement une des manifestations et c'est pourquoi la question ne saurait laisser les victimologues indifférents. Jusqu'il y a peu, les héros méritaient d'être rétribués, tant matériellement que symboliquement, pour ce qu'ils avaient accompli. Il semble qu'à présent ce soient avant tout les victimes qui méritent d'être compensées pour ce qu'elles ont subi. Comment expliquer cette évolution remarquable des sensibilités collectives ? La revalorisation concomitante du statut des victimes de l'Histoire et des victimes de faits divers incite à chercher des réponses qui transcendent les différences de ces catégories tellement hétérogènes. L'auteur suggère à titre hypothétique de lier la promotion du statut de victime au redéploiement de la question sociale dans les sociétés occidentales : si, comme certains l'affirment, le conflit central n'est plus celui de l'intégration mais celui de l'insertion, la posture de la victime pourrait bien représenter la posture revendicatrice privilégiée. Il resterait alors à en tracer les potentialités et les limites.

In this article, the author first summarizes the frustrated expectations of survivors of the shoah immediately following World War II. Survivors, expecting recognition of their experience, in fact experienced a process of secondary victimization comparable to that of another category of victims, survivors of sexual assault. Not only were their individual experiences as Jews obscured, they were doubly stigmatized for their reaction to the criminal enterprise of the Nazis. On the one hand, murdered Jews had allowed themselves to be killed "like lambs to the slaughter"; on the other, survivors had adopted undignified means in order to survive. Thus, while deported resisters gathered laurels, Jewish survivors were covered with shame.Their legitimate expectations of recognition went unmet for many years. Not meriting an honourable status, they were often denied explicit mention in monuments commemorating victims of the Third Reich. This treatment resulted in an enduring trauma, the consequences of which were not manifested until many years later.This state of affairs in fact continued for almost twenty years without raising significant objections. During the 1960s, however, a reaction set in and a rehabilitative effort - to wit, a glorification of the victims - was successfully conducted. Stigmata were erased and even reversed : to be a survivor of the Shoah became a mark of prestige. The convoluted means by which this spectacular about-face occurred was a polemic vindication of an absolute incomparability, the "unique uniqueness", of the Shoah.The indirect means of conducting a legitimate struggle for recognition nevertheless generated some negative effects, most notable of which is the "competition of victims". From the moment that one group claims a victimization not comparable to the persecution of another, it may be expected that other victims of Nazism and other historical tragedies will arise and maintain the contrary. Thus, for a quarter of a century, there has been a sordid and interminable debate with regard to the comparability of crimes and suffering. The results is opposition, with victims struggling with each other instead of creating a common front. The moral rehabilitation of the dead and of survivors is reduced to a struggle for social distinction, within a general context where victim status has the enviable status of a claim for rights.By way of conclusion, the author questions the precise reasons and causes that have resulted in the remarkable enhancement of victim status in recent decades. This change has benefited victims of various other types of acts as much as victims of historical tragedies. A major socio-cultural shift has resulted, the dynamics of which remain to be elucidated. The emergence of victimology as a separate discipline is probably one of its manifestations, and victimologists cannot be indifferent to this issue.Until recently, heroes deserved compensation, material as well as symbolic, for their accomplishments. It appears at present that victims, more than any other group, deserve to be compensated for their sufferings. How can this remarkable shift in the collective consciousness be explained? The resulting revalidation of historical and incidental victim status inspires a search for answers that transcend such heterogenic categories. The author hypothesizes a connection between the promotion of the victim status and the reformulation of a question common to western societies: if, as affirmed by some, the central conflict is not that of integration but that of insertion, the privileged position of the victim may well be justified. Its potential and limits have yet to be examined.

El autor resume la historia de una aspiración al reconocimiento que se verá frustrada en el periodo inmediato a la Segunda Guerra Mundial : la de los sobrevivientes de la Shoah, quienes serán efectivamente objeto de un proceso de victimización secundaria análogo al que puede observarse en otras categorías de víctimas, como es el caso de las víctimas de violación. Así, no sólo terminó ocultándose su experiencia específica como judíos, sino que fueron doblemente estigmatizados debido a sus reacciones frente a la empresa criminal de los nazis : por una parte, los judíos asesinados se habrían dejado conducir a la muerte « como reses al matadero », y, por otra, los sobrevivientes habrían adoptado comportamientos considerados como indignos, a fin de sobrevivir. Mientras que los deportados que resistieron recibirían los laureles de la gloria, los sobrevivientes judíos habrían de ser confinados a la vergüenza. Su legítima aspiración al reconocimiento quedaría insatisfecha durante largo tiempo. El derecho a alcanzar rangos honoríficos les sería negado e incluso, no pocas veces, se dejaría de mencionar expresamente sus nombres en los monumentos conmemorativos erigidos a las víctimas del Tercer Reich. De todo ello resultaron traumas profundos, cuyas consecuencias se manifestaron con posterioridad.En efecto, durante casi veinte años esta situación perduraría sin levantar mayores protestas. No obstante, a mediados de los años 1960 se observa una reacción, a la que seguiría una verdadera tarea de rehabilitación e incluso de glorificación de las víctimas que habría de concluir con éxito. De esta manera, les fue borrado el estigma, el cual a menudo resultó invertido : ser un sobreviviente de la Shoah llegó a convertirse en un título de prestigio. El medio para lograr esta revalorización espectacular lo constituyó la reivindicación polémica del carácter singular absoluto que envuelve la Shoah, es decir : su singularidad única.Esta manera especial de llevar a cabo una lucha auténtica por el reconocimiento habría de producir sin embargo efectos indeseables de importancia, y ello desde distintos puntos de vista. El autor evoca particularmente el de la « competición entre las víctimas ». A partir del momento en que un grupo pretende que su victimización resulta incomparable a la de otras persecuciones, era perfectamente previsible que otras víctimas del nazismo o de otras tragedias históricas protestaran y sostuvieran lo contrario. De allí y desde hace un cuarto de siglo, han aparecido interminables y sórdidos debates sobre la comparabilidad de los crímenes y del sufrimiento. De esta manera, las oposiciones se desplazan y las víctimas luchan entre sí, en lugar de formar un frente común. La rehabilitación moral de los muertos, así como la de los sobrevivientes se deteriora, transformándose en una lucha por la distinción social estimulada por un contexto general en el que la condición de víctima se convierte en un favor envidiable.Como conclusión, el autor se interroga claramente sobre las razones y las causas que han conducido a esta valorización particular de la condición de víctima en el transcurso de las últimas décadas, y de la cual se han beneficiado tanto las víctimas de hechos diversos como las víctimas de tragedias históricas. Se ha producido entones un cambio estructural mayor cuya dinámica no ha sido hasta ahora totalmente aclarada. La emergencia de la victimología como disciplina autónoma constituye probablemente una de sus manifestaciones, por lo que puede suponerse que tales cuestiones no han de dejar indiferentes a los victimólogos. Hasta hace poco, los héroes merecían ser retribuidos tanto en lo material como simbólicamente, en razón de lo que habian cumplido. En la actualidad, serían particularmente las víctimas las que merecen ser compensadas por sus sufrimientos. ¿Cómo explicar esta importantísima evolución en la sensibilidad colectiva? La revalorización concomitante de la condición de víctimas de la Historia y de víctimas de hechos diversos incita a la búsqueda de respuestas que trasciendan las diferencias entre categorias tan disímiles. El autor propone a título de hipótesis vincular la promoción de la condición de víctima al replanteamiento de la cuestión social en las sociedades occidentales : si, como lo afirman algunos, el conflicto central no es ahora el de la integración sino el de la inserción, la situación de la víctima bien podría constituir la posición reivindicatoria privilegiada. Quedarían por delinear sus potencialidades y sus limitaciones.

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