2002
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Relations industrielles ; vol. 57 no. 2 (2002)
Tous droits réservés © Département des relations industrielles de l’Université Laval, 2002
David Peetz, « Decollectivist Strategies in Oceania », Relations industrielles / Industrial Relations, ID : 10.7202/006780ar
Sous la bannière du « décollectivisme », nous regroupons un ensemble de pratiques chez les employeurs visant à bannir l’appartenance à un syndicat des lieux de travail syndiqués, à réduire l’influence des syndicats de sorte qu’ils ne soient plus reconnus pour fins de négociation collective ou à maintenir le caractère non syndiqué d’une entreprise. Un modèle cohérent de « décollectivisme » est apparu en Australie : des stratégies d’abord élaborées dans l’industrie de l’extraction du minerai métallifère et de la fonte ont été modifiées de façon à convenir à une gamme d’industries.Toute action entreprise par un employeur pour éliminer le collectivisme comporte deux dimensions : une réelle et une symbolique. La première dimension réside dans la manifestation ouverte de l’action : s’agit-il d’une information ? S’agit-il de quelque chose qui entretient un lien avec les rapports entre les parties, c’est-à-dire quelque chose qui concerne les relations entre employeurs et employés, entre l’employeur et le syndicat, ou entre le syndicat et les employés ? S’agit-il d’une pratique liée à l’emploi, c’est-à-dire quelque chose qui touche aux conditions d’exécution du travail ? La seconde dimension, la dimension symbolique, réside dans le sens qu’on accorde à l’action, qui transmet à une audience cible un aspect de la relation entre une partie et l’employeur. Le message qu’elle communique ainsi peut être soit global, c’est-à-dire faire sentir aux employés qu’ils font partie intégrante de l’organisation, ou soit sélectif en indiquant que des employés en particulier, que des types de comportements ou que les syndicats eux-mêmes ne sont pas désirés. Le symbolisme associé à des gestes sophistiqués de bannissement du collectivisme vise à façonner le sentiment d’appartenance, à éloigner et à transformer la mentalité collectiviste, de façon qu’ils se perçoivent eux-mêmes comme membres non pas d’une collectivité centrée sur l’employé, un syndicat par exemple, mais plutôt comme ceux d’une collectivité centrée sur l’employeur, par exemple l’organisation. Ce symbolisme par conséquent cherche aussi à façonner les groupes de référence auxquels les employés s’associent, loin des concepts plus vastes d’occupation ou de classe sociale ; il vise également à réduire les visions fondées sur l’environnement immédiat du travail et de celui de leur organisation.Pour être plus précis, ajoutons que des pratiques de gestion exclusives incluent les mises à pied et les réductions de postes ; la précarisation ; la sous-traitance et la privatisation du travail syndiqué ; le licenciement de ceux qui se joignent à un syndicat ; la réaffectation de ceux qui n’y adhèrent pas ; la réaffectation ou le congédiement des activistes syndicaux. Des pratiques de gestion inclusives comprennent la standardisation des conditions de travail. Les pratiques doubles, i.e. à la fois inclusives et exclusives comprennent l’offre de contrats individuels de travail formels ; l’offre d’un bonus de non-adhésion ; le recours à la rémunération au rendement basée sur une appréciation de la performance ; le recrutement ciblé et le tamisage en sélection ; enfin, l’imposition d’exigences dont la signature de contrats d’emploi pour les nouveaux employés comme condition d’embauche.Des mesures relationnelles exclusives consistent à retarder ou à refuser la négociation avec un syndicat ; à restreindre ou à empêcher l’entrée aux organisateurs ; à limiter le travail des délégués syndicaux ou à les empêcher d’assumer leurs responsabilités, à déclencher un lock-out ; à entreprendre une poursuite contre les syndicats et à utiliser la violence. Des mesures relationnelles inclusives incluent : la mise sur pied de mécanismes de communication et de règlement de griefs alternatifs ; le recours à des programmes de pseudo-implication ou de participation ; l’utilisation des rencontres sociales. Des mesures relationnelles doubles comprennent l’emploi des superviseurs et de la direction intermédiaire comme agents de changement, la tenue de rencontres entre le superviseur et ses employés sur une base individuelle et également des rencontres de groupes.Des mesures informationnelles exclusives consistent dans un contrôle de l’information originant de l’intérieur ; la communication de menaces de fermeture ou de mises à pied ; la menace de licencier ceux qui adhèrent au syndicat ; l’emploi de messages anti-syndicaux à l’effet que les syndicats ne sont pas nécessaires et sont destructifs. Des mesures informationnelles inclusives consistent en l’apport de preuves, alors que des mesures doubles incluent l’emploi de la propagande et du double discours.Chaque stratégie de réduction de la mentalité collectiviste ne contiendra pas nécessairement chacune des méthodes décrites, il n’est pas dit non plus qu’elle obtiendra du succès. Des stratégies de destruction de la mentalité collectiviste vont des méthodes les plus simples, les plus brutes, aux méthodes hautement sophistiquées. Au premier bout du continuum, les stratégies simples et instinctives vont se centrer sur des approches exclusives. À l’autre, d’autres approches plus sophistiquées vont accorder une attention à l’avis des collègues-employeurs, aux écrits des théoriciens de la gestion et vont recourir à quelques techniques de gestion des ressources humaines de façon à englober à la fois des méthodes inclusives et exclusives.Dans le monde moderne du soccer, l’Océanie renvoie à cette partie du monde qui englobe l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États des îles du Pacifique Sud. Dans le monde virtuel d’Orwell 1984, l’Océanie est le nom qu’on a donné à la super-nation sur laquelle règne le « Grand Frère ». Par pure coïncidence, quelques stratégies sophistiquées adoptées par les employeurs dans leur tentative d’éradiation de la mentalité collectiviste, qui entretiennent des liens étroits avec les stratégies sophistiquées de l’État dans l’ouvrage 1984, se manifestent dans le comportement des employeurs dans l’Océanie contemporaine. Cependant, ces analogies comportent quelques limites. L’étendue et la violence du Ministère de l’Amour n’entretiennent aucune comparaison avec le contrôle exercé par les entreprises qui pratiquent l’élimination de la mentalité collectiviste et les salariés en dehors de leur entreprise mènent quand même une vie personnelle. Alors, on voit le désaccord s’accroître dans les entreprises qui cherchent à se débarrasser de la mentalité collectiviste. Alors que les redondances et l’insécurité d’emploi peuvent aider une entreprise à éliminer les activistes et à mousser la reconnaissance d’un besoin d’adhérer ou de refuser, elle peut aussi initier des conditions qui encouragent une action collective centrée sur les salariés. Des succès récents en Australie originèrent de l’action d’endiguer les messages sélectifs des « décollectivistes », en démontrant par leurs gestes que les syndicats font toute la différence et en introduisant leur propre agenda syndical à caractère englobant, fondé sur des principes démocratiques cherchant à convaincre les employés que non seulement ils font parti d’une action collective, mais qu’ils sont effectivement un syndicat. C’est là le message le plus globalisant et le plus puissant.