2007
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Études françaises ; vol. 43 no. 2 (2007)
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Frédérique Arroyas, « Les variations Goldberg de Nancy Huston ou la désacralisation de l’oeuvre musicale », Études françaises, ID : 10.7202/016477ar
« Il faut humaniser le Maître, deux cent cinquante ans après sa mort », écrivaient Hennion et Fauquet en 2000, dans leur étude intitulée La grandeur de Bach. Vingt ans plus tôt, l’auteure des Variations Goldberg s’en préoccupait déjà car le premier roman de Nancy Huston fait ressortir non seulement la place qu’occupe la musique classique dans la culture occidentale, mais aussi la problématique de l’effacement du sujet devant ce qu’on nomme la « grande musique ».La présente analyse des Variations Goldberg porte sur la présentation de l’artefact musical dans un roman qui, d’une part, emprunte sa structure aux Goldberg-Variationen de Bach et, d’autre part, intègre les réflexions de ses auditeurs lors d’une soirée musicale. Dans un sens tout à fait intermédial, l’adoption de la forme « variations sur thème » permet d’investir l’oeuvre de Bach et justement de l’humaniser. On verra que l’appropriation littéraire des Goldberg-Variationen de Bach constitue une opposition aux approches formalistes qui isolent l’objet musical de ses contextes de production et de réception. Chaque invité a droit à sa variation et au fur et à mesure que ces variations se déroulent, un nouveau point de vue se fait entendre. Cet assemblage associe à l’oeuvre de Bach un ensemble de comportements et d’attitudes, des malaises du corps à l’exaltation, de la lutte des classes à la différence entre les approches féminine et masculine de la performance et de l’audition musicales. Le roman opère ainsi un détournement de l’éthos bourgeois qui maintient les « grands classiques » dans les cimes de la pureté et de la perfection pour faire entendre la voix de leurs « utilisateurs », qu’ils soient amateurs passionnés, interprètes harassés, ou tout simplement auditeurs récalcitrants.