1984
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Historical Papers ; vol. 19 no. 1 (1984)
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Andrée Lévesque, « Deviant Anonymous: Single Mothers at the Hôpital de la Miséricorde in Montreal, 1929‑1939 », Historical Papers / Communications historiques, ID : 10.7202/030923ar
Les historiens-nes du Québec ont dupuis longtemps reconnu l'importance de la famille patriarchate et du rôle de la femme comme mère au foyer. On a cependant accordé peu d'attention au sort de celles qui défiaient les normes culturelles et convoient en dehors les liens de mariage. Selon l'idéologie religieuse de l'époque, ces personnes minaient l'ordre social et, par leur transgression, jetaient la honte sur elle-même et sur leur famille. Certaines solutions furent adoptées pour faire face au problème des mères célibataires: le recours aux maternités privées, l'exil chez parents ou amis-es éloignés, parfois l'avorlement, ou les oeuvres de charité ou la soumission à leurs soins et à leur contrôle. Au Québec, pendant les années 1930, quelque 20 pour cent des naissances qu'on appelait illégitimes eurent lieu à l'Hôpital de la Miséricorde dont les dossiers détaillés sur les patientes constituent les sources privilégiées du présent article.Les contemporains percevaient la vocation de la femme laique soit comme mère à l'intérieur du mariage, soit comme prostituée. Les mères célibataires n'avaient pas de place dans cette vision polarisée du rôle des femmes. Elles ne pouvaient, par con- séquent, se réintégrer à la société qu'en cachant leur condition. Dans cette perspective, l'Hôpital offrait un service tant à la société, qui cherchait à dissimuler les écarts de comportement, qu aux femmes concernées.Les dossiers révèlent que les candidates à Vadmission étaient presqu'uniquement des Canadiennes-française catholiques. Souvent orphelines, elles étaient généralement jeunes (60 pour cent avaient entre 18 et 20 ans), étaient domestiques (47 pour cent) ou vivaient à la maison (31 pour cent) et souffraient souvent de problèmes de santé. A leur entrée, elles adoptaient une nouvelle identité, leurs pseudonymes reflétant parfois la honte qu'elles devaient subir. Les règlements de l'Hôpital accentuaient leur isolement: on ri encourageait pas les visites, le courrier était censuré, et les patientes étaient largement privées de contact avec le monde extérieur.Si les agences sociales encourageaient les mères célibataires à garder leur enfant, elles ne pouvaient choisir son nom et seulement 14.6 pour cent quittaient l'Hôpital avec leur enfant. Après l'accouchement, les paturiennes jouissaient de deux semaines de con- valescence après quoi, si elles ne pouvaient s'acquitter de leur compte envers l'institution - ce qui était le cas de la majorité de celles qui accouchaient à la Miséricorde - elles entreprenaient six mois de service à l'Hôpital. Pendant cette période de résidence, elles étaient traitées comme des mineures, parfois comme des criminelles, toujours comme des pécheresses repentantes. Certaines poursuivaient l'expiation de leur faute en devenant membre de la communauté religieuse, d'autres demeuraient dans l'institution au- delà de la période prévue.La majorité des enfants demeuraient à la charge des institutions et 37.7 pour cent mourraient avant leur premier anniversaire, le plus souvent de maladies contagieuses. Les religieuses et les mères accueillaient habituellement ces décès comme une bénédiction.Malgré V importance essentielle de trouver un assile pendant leur progresse, certaines patientes se soumettaient difficilement aux conditions qui leur étaient faites. Plusiers réaggissaient soit par une résistance passive soit par des actes de rébellion. Quelques unes épousaient le père de l'enfant mais la plupart devaient subir les conséquences de leur grossesse.