2005
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L'Annuaire théâtral : Revue québécoise d’études théâtrales ; no. 38 (2005)
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Jean-Marc Lantéri, « L’oeil supplicié », L’Annuaire théâtral: Revue québécoise d’études théâtrales, ID : 10.7202/041613ar
La violence traverse toutes les écritures contemporaines britanniques; elle permet de mesurer le rapport au réel de ces dramaturgies et d’appréhender leurs innovations formelles. S’il convient de se méfier des inévitables catalogues de supplices (auxquels la critique journalistique a plus ou moins réduit Anéantis de Sarah Kane à sa création), on peut s’interroger sur le sens et la portée d’un supplice tout particulier dans cinq pièces : Anéantis et Purifiés de Sarah Kane, Le traitement de Martin Crimp, Faust is Dead de Mark Ravenhill et Maudit crépuscule d’Howard Barker, à savoir le supplice de l’énucléation. L’oeil arraché apparaît d’abord comme un organe obscène, une sorte de résumé du réel le plus brut, puis comme un symbole du voyeurisme puni, voyeurisme qui constitue une forme particulièrement insidieuse de violence. Ce n’est qu’au bout de ce trajet que l’énucléation retrouve la portée tragique que lui donne Sophocle. L’ampleur symbolique de ce supplice répond en quelque sorte à cette double postulation du théâtre anglais, entre pessimisme postmoderne et nostalgie de l’humanisme.