2009
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TTR : Traduction, terminologie, rédaction ; vol. 22 no. 1 (2009)
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Naoki Sakai, « Dislocation in Translation », TTR: Traduction, terminologie, rédaction, ID : 10.7202/044786ar
Cet article explore le postulat qui définit la traduction comme représentable, puis se penche sur l’évolution de cette pensée. Définir la traduction comme « le transfert d’un message d’une langue dans une autre » présuppose que les langues sont des unités individuelles et indépendantes. Mais que serait la traduction si on supposait le contraire, c’est-à-dire que les langues ne se distinguent pas si facilement les unes des autres? Le concept forgé par Jakobson de traduction interlinguistique ou « traduction propre » ne tient pas compte de l’ambiguïté inhérente à la place du traducteur : qui est le traducteur et quelle est sa position par rapport au texte source et au texte cible? Ni destinateur ni destinataire, il devient un « sujet en transit ». Si par l’acte de traduire on ne fait que transférer un message invariant d’une langue à une autre, on élimine à la fois l’ambiguïté de la position du traducteur ainsi que l’idée de la traduction comme pratique sociale poïétique qui établit une relation de l’ordre de l’incommensurabilité. La traduction est dès lors remplacée par une « représentation de la traduction » et est ainsi perçue comme une forme de communication entre les deux cercles fermés que forment chacune des communautés linguistiques. C’est précisément cette manière de représenter la traduction qui a permis d’identifier l’unicité d’une langue ethnique ou nationale à l’unicité d’une autre langue. Grâce à ce « schéma de co-figuration », une communauté ethnolinguistique devient un espace géographique sur lequel se construit la souveraineté nationale. Deux nations représentées comme des équivalents qui se ressemblent peuvent ainsi être considérées comme conceptuellement différentes, et leur différence est une différence spécifique. La co-figuration de l’expression « the West and the Rest » est un bon exemple d’une telle opposition binaire : « l’Ouest », ou l’Occident, se définit en se différenciant de ce qu’il n’est pas par « le reste », ce qui met l’emphase sur la supériorité du premier terme par rapport au second. L’association du terme « moderne » avec « l’Ouest » a modifié le rapport des individus à l’histoire. Ainsi, le mouvement dans le temps est devenu synonyme de tout mouvement de la périphérie vers le centre. L’histoire démontre que notre manière de représenter la traduction dicte la manière dont on imagine les communautés nationales ainsi que les identités ethniques.