2011
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Études françaises ; vol. 47 no. 2 (2011)
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Mathieu Bélisle, « Le rire perplexe : À propos de Belle du Seigneur d’Albert Cohen », Études françaises, ID : 10.7202/1005652ar
L’étude de l’histoire du roman montre que, au contraire de la plupart des propositions théoriques formulées par les philosophes, le rieur n’est jamais séparé de son objet. Le personnage romanesque qui rit ou prend conscience de la nature risible de sa vie se trouve toujours engagé par le fait que cela même qui fait l’objet de son rire ne lui est pas indifférent, qu’il le concerne toujours de quelque manière, et qu’il ne peut donc pas jouir pleinement de la distance comme le ferait un spectateur devant une représentation comique. Il est lui-même partie prenante de ce théâtre, de cette vie qui se veut théâtre. C’est pourquoi le rire que le personnage fait entendre, qui d’ailleurs est peut-être le rire découvert par le roman, ou le mieux représenté par lui, n’est jamais un rire « plein », univoque — comme le rire de la farce ou le rire de l’extase —, mais un rire hésitant, double, qui ne manque jamais de souligner l’écart entre la pensée et l’agir, entre le désir de se détacher du monde pour se mieux comprendre et le besoin irrémédiable d’y vivre. C’est à cette découverte que nous convie, de manière exemplaire, Belle du Seigneur d’Albert Cohen.