2010
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TTR : Traduction, terminologie, rédaction ; vol. 23 no. 2 (2010)
Tous droits réservés © MaríaTeresaRodríguez Navarro et AllisonBeeby, 2010
María Teresa Rodríguez Navarro et al., « Self-Censorship and Censorship in Nitobe Inazo, Bushido: The Soul of Japan, and Four Translations of the Work », TTR: Traduction, terminologie, rédaction, ID : 10.7202/1009160ar
Nous analysons dans cet article l’autocensure et la censure présentes dans l’oeuvre d’Inazo Nitobe, Bushido : The Soul of Japan, ainsi que dans quatre de ses traductions. Dans ce qui est probablement sa publication la plus connue à l’échelle internationale, le célèbre essayiste et diplomate japonais Inazo Nitobe (1862-1933) joue le rôle de médiateur interculturel entre l’Orient et l’Occident en exportant les valeurs et les concepts du bushidō, la voie du samouraï. Nitobe appartenait à une grande famille de samouraïs, mais se convertit au christianisme, épousa une jeune femme quaker de Philadelphie et acquit la plus grande partie de sa formation universitaire aux États-Unis et en Europe. Dans Bushido, il tente courageusement de traduire pour l’Occident le code éthique des samouraïs, mais sa volonté d’établir des liens étroits avec les valeurs chrétiennes le conduit à idéaliser la caste des samouraïs et à christianiser, en quelque sorte, les valeurs et les enseignements de celle-ci. À travers son livre, Nitobe souhaitait faire connaître la valeur de la culture japonaise afin qu’elle soit acceptée par les Occidentaux, notamment les habitants de Philadelphie du début du XXe siècle.Le texte original est en langue anglaise, qui n’est pas la langue maternelle de l’auteur et peut donc être étudié en tant qu’autotraduction, ce qui implique une certaine autocensure. En effet, lorsqu’il écrit dans une langue étrangère, un auteur est en quelque sorte amené à filtrer ses émotions et son mode d’expression. Il est, certes, limité dans sa capacité d’expression, mais, en même temps, il peut faire preuve d’une plus grande empathie pour l’autre culture. En outre, il est plus conscient de ce qu’il veut dire et ne pas dire pour que son oeuvre soit bien reçue par ses lecteurs potentiels.Les quatre traductions que nous analysons sont, dans un ordre chronologique, celles de Gonzalo Jiménez de la Espada (1909, en espagnol), de Charles Jacob (1927, en français), de Yanaihara Tadao (1938, en japonais) et du général franquiste José Millán-Astray (1941, en espagnol). Une étude descriptive diachronique de la traduction des références culturelles montre que ces quatre versions illustrent d’une manière exemplaire comment la manière de traduire et le lien qui existe entre le contexte, l’avant-texte et le texte (Widowson, 2004) changent selon l’époque, de même que la visibilité et l’invisibilité du traducteur (Venuti, 1995). Nous utilisons pour notre travail la théorie du skopos, certains aspects de la théorie du polysystème, notamment ceux qui concernent l’idéologie et la censure, ainsi que l’étude de la traduction entre langues et cultures éloignées.Notre analyse des quatre traductions nous permet de montrer que la manipulation – ou l’autocensure – des références culturelles du texte original est particulièrement évidente dans les périodes de conflit, comme l’illustrent la traduction japonaise de 1938 et la traduction espagnole de 1941. Notre objectif est finalement de démontrer comment le contexte/l’avant-texte peuvent conduire le traducteur à manipuler et censurer le texte original, si bien que le skopos de Nitobe est complètement occulté dans les traductions.