Quand légitimité rime avec productivité : La parole-d’oeuvre plurilingue dans l’industrie de la communication

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2015

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Anthropologie et Sociétés ; vol. 39 no. 3 (2015)

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Résumé Fr En Es

L’objectif de cet article est de mettre en évidence la manière dont les processus de légitimation des langues et des locuteurs s’articulent à des logiques de productivité économique. En partant d’une recherche ethnographique conduite dans un centre d’appels – terrain emblématique de l’économie néolibérale – situé dans une ville ouvrière bilingue en Suisse, nous montrerons que les compétences langagières des travailleurs font l’objet d’une célébration en termes économiques (du point de vue du repositionnement industriel de la municipalité et de la productivité des centres d’appels). En effet, dans l’industrie de la communication, où la parole est la matière première du travail et où le marché visé est national, le plurilinguisme des travailleurs (dans notre cas le français, l’allemand et l’italien) est considéré comme un instrument central de la productivité. Cependant, cet idéal plurilingue se confronte à une réalité du bassin de travail, qui s’avère moins plurilingue qu’escompté, obligeant les entreprises à reconfigurer les exigences langagières, allant dans le sens d’un monolinguisme germanophone et d’un bilinguisme français-italien. Cette situation induit alors une hiérarchisation au sein des classes ouvrières entre monolingues et bilingues et entre monolingues germanophones et monolingues francophones et italophones. L’instrumentalisation économique du plurilinguisme est alors fortement reliée à des enjeux de classes sociales et de stratification sociale, profitant avant tout aux institutions de pouvoir. L’adossement du plurilinguisme à une logique de marché et de transformations industrielles conduit, quant à lui, à reproduire les rapports de pouvoir entre les langues et les locuteurs, tout en maintenant les travailleurs les plus fragilisés économiquement dans des positions sociales précaires.

The aim of this article is to highlight the articulation of the legitimisation processes of languages and their speakers around the logic of economic productivity. Drawing on an ethnographic study in a call centre, an emblematic site of the neoliberal economy, located in a working-class town in Switzerland, we show how the language competences of workers are the object of a celebration in economic terms (for the industrial repositioning of the town and for the productivity of the call centres). In fact, in a specific sector of economic activity (industry of communication), where language has become the primary work resource and where the national market is targeted, the multilingual competences of the workers (in our case in French, German, and Italian) are considered a central instrument of productivity. Yet, this multilingual ideal does not correspond to the pool of workers really available, which turn out to be less multilingual than expected, thus forcing the companies to reconfigure their language demands towards a German monolingualism and a French-Italian bilingualism. This situation introduces then a hierarchy within the working class between monolinguals and bilinguals, and between German-speaking monolinguals and French- and Italian-speaking monolinguals. The economic instrumentalization of multilinguals is then strongly related to issues of social class and social stratification from which institutions of power mainly profit. In turn, the tying of multilingualism to market logic and to industrial transformations leads to a reproduction of power relations between languages and their speakers, all the while keeping the economically most instable workers in precarious social positions.

El objetivo de este artículo es evidenciar la manera en que los procesos de legitimación de las lenguas y de los hablantes se articulan con lógicas de productividad económica. A partir de una investigación etnográfica realizada en un centro de atención telefónica – campo emblemático de la economía neoliberal – situado en una ciudad obrera bilingüe en Suiza, mostraremos que las competencias lingüísticas de los trabajadores son objeto de una celebración en términos económicos (desde el punto de vista del reposicionamiento industrial de la municipalidad y de la productividad de los centros de atención telefónica). Efectivamente, en la industria de la comunicación, en donde el habla es la materia prima del trabajo y en donde el mercado que interesa es nacional, el plurilingüismo de los trabajadores (en nuestro caso, francés, alemán e italiano) es considerado como un instrumento central de la productividad. Sin embargo, este ideal plurilingüe se confronta a la realidad de la zona de trabajo, que en realidad es menos plurilingüe que se supone, y obliga a las empresas a reconfigurar las exigencias lingüísticas, en el sentido de un monolingüismo germanófono y de un bilingüismo francés-italiano. Esta situación induce una jerarquización en el seno de las clases obreras entre monolingües y bilingües y entre monolingües germanófono y monolingües francófonos o italófonos. La instrumentalización económica del plurilingüismo está pues fuertemente ligada a los desafíos de las clases sociales y de la estratificación social, lo que beneficia sobre todo a las instituciones. El respaldo del plurilingüismo con lógica de mercado y de transformación industrial lleva a reproducir las relaciones de poder entre las lenguas y los hablantes, manteniendo al mismo tiempo a los trabajadores más económicamente frágiles en posiciones sociales precarias.

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