1998
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Revue générale de droit ; vol. 29 no. 4 (1998)
Droits d'auteur © Faculté de droit, Section de droit civil, Université d'Ottawa, 2000
Nicholas Kasirer, « Le real estate existe-t-il en droit civil ? », Revue générale de droit, ID : 10.7202/1035647ar
On a beaucoup écrit sur les différences conceptuelles du droit des biens dans le droit civil et la common law. Cet article cherche à mesurer jusqu’à quel point le vocabulaire du droit dans ce domaine est intrinsèquement lié à l’une ou l’autre des traditions. L’expression anglaise real estate, telle qu’employée au Québec, fait l’objet de cette étude. Dans un premier temps, l’auteur met en lumière l’hypothèse voulant que l’emploi du terme real estate est à proscrire dans une juridiction de droit civil comme le Québec, compte tenu de l’absence d’une théorie des domaines/doctrine of estates dans le droit civil des biens. Dans un deuxième temps, il en présente l’antithèse. La constance de l’usage, au Québec, du terme anglais real estate par les professionnels et les non-professionnels du droit a peut-être eu l’effet de reconfigurer le lexique du droit civil. On peut aisément soutenir que le terme real estate ait pu émerger comme néologisme de sens en langue anglaise de droit civil, désignant, à titre de synonyme du terme immovable. Ce sens nouveau de real estate propre à la langue civiliste serait différent de celui que l’on attribue à l’expression dans la tradition juridique anglo-américaine. Les sociolinguistes ont développé la théorie générale de l’emprunt linguistique à partir du passage d’un mot d’une langue à l’autre; la théorie doit être nuancée puisque l’emprunt lexical ici (mais non notionnel) a comme source une autre tradition juridique plutôt qu’une autre langue. Cet exemple de créativité lexicale pour le droit fait voir que le processus d’émergence du vocabulaire juridique n’est pas l’apanage exclusif des législateurs ou des autres artisans de droit formel. La décision d’accepter ou de refuser real estate dépend finalement de la conception que l’on a du mode de développement du vocabulaire juridique à l’intérieur d’une théorie plus large des sources du langage, voire du droit.