2014
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Recherches sémiotiques ; vol. 34 no. 1-2-3 (2014)
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Jacques Coursil, « La topique des phonèmes », Recherches sémiotiques / Semiotic Inquiry, ID : 10.7202/1037147ar
Le Cours de Linguistique Générale consacre deux chapitres à la phonologie sous les titres “Définition des phonèmes” et “Le Phonème dans la chaîne parlée”. Ces textes se présentent aujourd’hui sous le double aspect d’une question d’histoire des sciences non-résolue et d'une question théorique ouverte, l’irrésolution de la première masquant l’intérêt systémique de la seconde.Critiqués dès 1930 par les théoriciens de l’École de Prague (Troubetzkoy, Jakobson), les Principes de Phonologie de Saussure ont perdu tout crédit scientifique et sont tombés dans l’oubli. La critique des Pragois est à la fois élogieuse et sévère. Tout en se réclamant de son caractère fondateur, ils reprochent à la théorie saussurienne d’être contradictoire, mêlant, selon leurs analyses, deux disciplines devant demeurer distinctes, la phonétique et la phonologie. Les contradictions relevées par les maîtres de l’École de Prague paraissent, en effet, évidentes. D’une part Saussure écrit : “L’essentiel de la langue est étranger au caractère phonique du signe linguistique” (CLG : 21) ou “la question de l’appareil vocal est secondaire dans le problème du langage” (CLG : 26); mais d’autre part, il affirme que “la liberté de lier les espèces phonologiques (phonèmes) est limitée par la possibilité de lier les mouvements articulatoires” (CLG : 79). On ne peut, en effet, soutenir la nécessité d’une distinction stricte entre traits différentiels de langue et mécanique articulatoire et, en même temps, affirmer que la délimitation des phonèmes dépend de contraintes de l’appareil vocal. Ainsi Troubetzkoy et Jakobson reprocheront-ils au maître genevois de réintroduire la phonétique dans le débat phonologique.Mais il y a malentendu. En confrontant les critiques pragoises aux textes de Saussure, on découvre, à la place des contradictions attendues, la description d’un système double de catégories et de fonctions dont chaque partie, dûment développée, aboutit à une loi. La thèse de Saussure maintient strictement (mais subtilement) la distinction entre phonétique et phonologie, contrairement aux allégations des Pragois. Dans une lecture systémique des Principes de Phonologie de Saussure, nous n’avons trouvé ni les “contradictions” ni le “psychologisme naïf” ni non plus de “retour aux procédés de la phonétique motrice” que Jakobson avait critiqués. Il s’agit dans cet article de reconstruire et tester ce modèle saussurien discrédité. Les historiens des sciences auront alors à nous expliquer l’étonnante indifférence dans laquelle est tombée une analyse (si opérante et importante) placée au milieu du livre le plus lu de la linguistique générale.