2015
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Tangence ; no. 109 (2015)
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Stéphanie Loubère, « « Musa levis gloria magna » : la recusatio chez les poètes élégiaques des Lumières », Tangence, ID : 10.7202/1037384ar
Les cheveux flottants, l’élégie a traversé les siècles de sa démarche inégale, et fait résonner ses chants déliés sans jamais se fixer en un lieu. Comme son inspiration, ses inflexions sont vagabondes mais reconnaissables à leur étrange façon d’imposer leur légèreté avec une morgue discrète. Peu de formes poétiques ont poussé aussi loin l’art de cultiver l’indécision sur l’ambition qu’elles poursuivent : à l’âge classique, l’élégie reste le genre insaisissable apparu lorsque les poètes antiques ont brigué une gloire en dehors de la grande tradition héroïque et donné au roman du coeur ses lettres de noblesse poétiques. Ses diverses métamorphoses et les débats qui ont accompagné sa survie littéraire n’ont jamais effacé cette ambiguïté constitutive, qui fait d’elle un genre en quête de reconnaissance dans un système de hiérarchie qu’elle contribue, de par son existence même, à renverser. C’est ainsi qu’au xviiie siècle, l’élégie a participé de près à l’effervescence problématique de la poésie, en un siècle dont la métromanie peut se comprendre à la fois comme signe d’une vigueur et comme symptôme d’un déclin. Dans ce contexte, l’élégie a focalisé un certain nombre de questions qui renvoient plus ou moins directement à la « crise de la poésie » qui affecte le siècle.