2017
Ce document est lié à :
Études françaises ; vol. 53 no. 2 (2017)
Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2017
Isabelle Arseneau, « Un roman dont il n’y a rien à dire : La mise en livre de Méraugis de Portlesguez dans le manuscrit de Vienne ÖN 2599 », Études françaises, ID : 10.7202/1040900ar
L’examen comparé des manuscrits qui ont conservé le roman de Méraugis de Portlesguez de Raoul de Houdenc (v. 1225-1235) tend à suggérer qu’il y aurait autant de versions de cette oeuvre qu’il y a de copies. Dans le manuscrit de Vienne ÖN 2599 – un livre du second quart du xive siècle qui se distingue fortement de la tradition manuscrite des romans arthuriens en vers par sa facture (un luxe rare) et sa composition (une oeuvre unique) –, les variantes sont à ce point nombreuses que leur collationnement semble témoigner de la volonté de proposer un roman différent de celui conservé dans les recueils du Vatican (Reg. Lat. 1725) et de Turin (BUN, L.IV 33). Les interventions du scribe visent autant le texte que le péritexte : s’il corrige le style, la thématique et le dispositif narratologique disloqués que l’on associe à l’écriture de Raoul de Houdenc, il propose également un prologue et un programme iconographique qui réorientent le roman vers le didactisme plutôt que vers le divertissement, visée qui était classiquement la sienne. Dépouillé de sa dimension contestataire (antiromanesque), le roman obtenu à force d’ajustements qui trahissent l’oeuvre telle qu’elle a été conservée dans les autres codices semble fournir un exemple de rupture entre la sphère du roman critique (destiné au plaisir intellectuel des clercs) et celle du roman « plaisant » (destiné plutôt à l’usage de la cour).