2017
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Études françaises ; vol. 53 no. 2 (2017)
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Marie-Chantal Killeen, « Esquives, pièges et désaveux : Les « Anti-confessions » de Nelly Arcan et d’Anne Garréta », Études françaises, ID : 10.7202/1040902ar
« [O]n va leur montrer nos sextes ! » Depuis quarante ans déjà, les écrivaines et réalisatrices de langue française ont répondu en grand nombre à ce cri de ralliement lancé naguère par Hélène Cixous dans son essai « Le rire de la Méduse ». Dans des oeuvres bien souvent provocatrices – où il est question, entre autres, de pratiques sadomasochistes, d’échangisme, de prostitution, de viol, d’inceste –, il importe manifestement d’arracher au silence les expériences les plus diverses de la sexualité féminine. Malgré les accusations de nombrilisme et d’exhibitionnisme que la critique dirige parfois contre ces récits d’aveu, il est d’usage d’interpréter ceux-ci comme signes d’une audacieuse expression de soi et d’une émancipation collective toujours croissante. C’est dans la transgression des tabous, aussi bien que dans l’affranchissement des carcans patriarcaux et hétéronormatifs, que cette entreprise puiserait à la fois sa force personnelle et sa légitimité politique. Les deux oeuvres autofictionnelles sur lesquelles je me concentre ici s’inscrivent toutefois en faux contre cette tendance dominante. Car si Nelly Arcan et Anne F. Garréta se prêtent à des confidences intimes dans Putain (2001) et Pas un jour (2002), c’est pour mieux désavouer la littérature d’aveu. Toutes deux reprennent à leur compte la thèse de Michel Foucault selon laquelle la sexualité, loin d’être sujette à la répression et à la censure, représente à l’âge moderne une source intarissable du discours. Nous serions en définitive constamment adjurés de parler du désir et du plaisir sexuels, l’« ironie de ce dispositif », notait Foucault, étant de « nous fai[re] croire qu’il y va de notre “libération” ». Arcan et Garréta engagent dès lors à se demander si l’injonction actuelle au dévoilement ne relève pas d’une forme insoupçonnée de coercition. En traquant deux des motifs qui animent leurs textes – le scandale dans Putain, la déprise dans Pas un jour –, cette étude s’attache à montrer comment ces oeuvres se constituent en anti-confessions.