2014
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Revue musicale OICRM ; vol. 2 no. 1 (2014)
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Alexandre Robert, « Debussy saisi par les Indépendants. Une contribution à l’analyse du processus de reconnaissance de l’oeuvre de Debussy », Revue musicale OICRM, ID : 10.7202/1055850ar
Comment l’oeuvre de Debussy en est-il venu à être considéré comme l’un des plus importants de l’histoire de la musique occidentale ? Il est certain que le processus de reconnaissance auquel on a ici affaire est d’une redoutable complexité. Néanmoins, cet article se propose d’isoler et d’examiner une des étapes cruciales, à savoir la reconnaissance de Debussy par certains de ses pairs. Notre thèse est la suivante : la reconnaissance dont jouit aujourd’hui l’œuvre de Debussy est largement tributaire de son appropriation, dans les années 1900 et 1910, par les musiciens français qui constituent le groupe des « Indépendants ». Il semble indispensable, dans un premier temps, d’élargir l’échelle d’observation et de restituer la position collective des Indépendants au sein de la structure de l’univers macro-social relativement autonome qu’est le « champ musical français » du début du XXe siècle. On peut alors montrer qu’ils s’inscrivent dans une double opposition – indissociablement institutionnelle, esthétique et musicale – à l’Institut et surtout à la Schola Cantorum de Vincent d’Indy. Dans ce contexte de lutte, un examen des écrits d’Émile Vuillermoz, Florent Schmitt, Maurice Ravel et Charles Koechlin montre que les Indépendants « saisissent » – au double sens du terme, c’est-à-dire « s’emparent de » et « comprennent » – l’œuvre de Debussy au travers de logiques esthétiques spécifiques (logique de l’émotion et logique de l’innovation). Si l’appropriation de l’oeuvre de Debussy par les Indépendants est si décisive, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont parmi les premiers à en faire un jalon indiscutable de l’histoire de la musique ; c’est aussi parce qu’ils s’en réclament de façon cohérente et quasi organisée pour fonder leur propre existence artistique. C’est par cette double action, qui consiste à la fois à faire de l’auteur de Pelléas le père fondateur de leur lignée artistique et à lutter (avec succès) pour exister au sein du champ musical français, que les Indépendants font grandir peu à peu l’oeuvre debussyste.